LIVRE : De la Musique (Ozawa Seiji-san to ongaku ni tsuite hanashi o suru) d'Haruki Murakami & Seiji Ozawa - 2011
Vous voyez le petit mec qui s'agite devant les orchestres avec sa baguette, et dont le néophyte soupçonne souvent l'inutilité ? Eh bien Seiji Ozawa en est un des plus brillants représentants, lui qui, depuis 50 ans, sillonne la planète pour diriger des formations hyper-exigeantes et donner à entendre les finesses des symphonies de Mahler ou des sonates de Beethoven. Il était temps d'écouter ce qu'il avait à dire. Et il dispose du plus merveilleux interlocuteur qui se puisse concevoir, le type qui semble connaître encore mieux la musique que lui, le gusse qui a tous les disques du monde dans ses étagères, le gars qui comprend tout à fait ce qu'on veut dire quand on parle de glissement de la partie cors à la 16ème minute de la 1ère de Brahms, celui qui sourit d'un air entendu quand Ozawa évoque le mu contenu dans les partitions (un silence, en fait) : Haruki Murakami, dont on découvre à cette occasion qu'il n'est pas seulement un fin connaisseur de jazz, mais qu'il est aussi d'une culture phénoménale en musique classique. Notre Haruki, fidèle à sa discrétion, se retire complètement devant le maître : même si ses questions sont précises, sa soif de découvrir avide et sa curiosité inlassable, le livre ne se veut pas littéraire, et il se présente en "passe-plats", au service de la parole d'Ozawa. Mais le chef d'orchestre va vite se rendre compte qu'il peut discuter d'égal à égal avec le gars. Il s'en suit un dialogue pétillant, très technique mais qui n'occulte jamais sa dimension sensible, où les deux maîtres rivalisent de finesse et d'intelligence pour parler des oeuvres musicales.
J'avoue : je découvre le métier de chef d'orchestre. On apprend là-dedans qu'il est tout à fait possible d'avoir des accidents physiques à force de manier la baguette, qu'il faut être en pleine forme (physique et morale), que le chef n'a que peu d'importance pendant la représentation mais qu'il est capital durant les répétitions, que c'est lui qui donne le souffle d'ensemble à l'orchestre, qu'il lui faut étudier des heures et des heures la partition, qu'un morceau, aussi précis qu'il puisse être, peut avoir des centaines d'interprétations possibles, que c'est souvent le soliste qui dicte ses exigences (belles pages sur Glenn Gould), que le chef doit revenir sans cesse sur le travail pour obtenir ici un "coulé" dans le son d'un instrument ou rendre là la qualité d'une respiration. Ozawa, aucun doute, parvient à définir précisément son rôle, avec bienveillance et modestie, et Murakami sait prolonger chacun de ses mots un peu flous par une précision remarquable. On apprend des tas de choses sur la musique, et on se dit qu'il y a encore du chemin à faire avant de distinguer les nuances entre une symphonie interprétée par Bernstein et la même interprétée par Karajan ou Böhm. Cette longue conversation, même si elle est parfois répétitive, parfois trop technique, parfois abstraite, est géniale, et à écouter les versions des morceaux dont il est question (à mettre pendant la lecture, c'est mon conseil), on se prend à saisir les minuscules nuances de chacune, et à être bien d'accord avec ces deux érudits : je vous jure qu'on entend la petite variation du troisième violon ou la qualité de réverbération de telle ou telle salle quand on est accompagné par ce texte, qui arrive à mettre des mots sur une abstraction, la musique. Pointu, ça oui, mais nécessaire, ça va sans dire.