LIVRE : Les Récits de la Demi-Brigade de Jean Giono - 1972
Un petit Giono post-mortem pour changer de la rentrée littéraire, c'est toujours bon à prendre. Ces nouvelles parues donc après le bête décès du génie des alpages ne sont peut-être pas de sa meilleure veine, mais vous donnent suffisamment à manger pour être repus et satisfaits. Le point commun entre elles, outre qu'elles sont toutes racontées par le capitaine de gendarmerie Martial Langlois, intrépide, intelligent et casse-cou, c'est leur ton, entre polar et récit d'aventure. Giono est dans la veine Le Hussard sur le Toit (dont ce livre est comme un "sequel"), et use à nouveau de ce style humoristique, plein de mystères, d'aventures et de glamour qu'il utilisa dans son grand oeuvre. Martial sillonne son territoire montagneux et rude (on est souvent dans le neige, perdu au milieu de tout) pour aller traquer les bandits de grands chemins, les trousseurs de diligence, les jeunes filles en fleurs dissimulant des tromblons sous leur jupe, les espions assassins et les vieux mutiques dissimulant sous leur aridité des secrets d'état et des mains pleines de sang. Il s'expose ouvertement à la mort, n'étant jamais aussi heureux qu'au milieu d'une fusillade ou installé sur un bon cheval en train de se faire canarder. Le caractère du personnage est délicieusement rendu, entre l'inconscience de la jeunesse et la sûreté du vieux briscard ; Martial ne craint pas l'échec (plusieurs nouvelles se terminent par la déconfiture de leur héros), admire ces hors-la-loi qu'il poursuit et raconte tout ça avec une verve explosive. Giono rend cette parole en donnant la pleine puissance de son talent de conteur : langage coloré, vivant, énergique, qui laisse pourtant toute la place à la nature sauvage, au sens du détail naturaliste, aux temps de pause tendus où Martial attend que l'ennemi sorte de sa tanière. Si certains récits laissent un peu sur sa faim par leur simplicité et leur côté un peu relâché, d'autres (notamment "L'Ecossais", la plus longue, qui clôt le livre) sont magnifiques. L'auteur connaît les arbres, les montagnes, les chevaux, la nuit, et la richesse de vocabulaire et de sensibilité pour les décrire est infinie. On ressort de la lecture de ce petit recueil sans façon avec l'impression d'avoir traversé une époque et un territoire, rassasié dans notre recherche d'aventures, amusé par ce beau caractère de flic solitaire du XIXème siècle, et avide de lire encore et toujours Giono. Parce que Giono, c'est bien.