Mikey et Nicky (Mikey and Nicky) (1976) de Elaine May
Je me faisais un plaisir de voir le duo Cassavetes et Falk à nouveau associé et ce même s'il s'agissait d'un film d'Elaine May (qui a vu le "légendaire" Ishtar ? Ouais, personne). Eh bien j'avais tort de prendre de haut cette pauvre Elaine car le moins qu'on puisse dire c'est que le film, brut de décoffrage, dépote. Au départ, un type a priori totalement parano (Cassavetes, pas au top de sa forme vu son rasage de cinq jours), appelle son pote d'enfance (Falk, l'homme aux regards multidirectionnels) ; on pense, bien sûr, que les deux hommes vont s'épauler, se soutenir, dans cette épreuve difficile (un tueur serait aux basques de Cassavetes après une affaire chelou), s'entraider. Falk nous déçoit un brin quand on comprend qu'il contacte bien un tueur pour régler son compte à son « pote » (il a bien changé d'état d’esprit Columbo, putain)... Mais divers facteurs vont faire que les deux hommes vont continuer la nuit ensemble pendant que le tueur se perd un brin dans les rues de la ville... Une façon de se rapprocher ? Notre optimisme non seulement nous tuera mais risque aussi de faire une victime collatérale...
Ah l'amitié ! Tu parles Charles : nos deux gaziers vont se lancer dans une sorte de mise à nu de leur relation, ce qui risque d'être relativement fatal... Faut dire que Cassavetes n'y met pas forcément du sien pour mettre l'ambiance : totalement speedé dans son hôtel, fouteur de merde dans un bar black, fumeur dans un autobus et provocateur envers le chauffeur, intenable dans le cimetière où est enterrée sa mère, désagréable et lourdingue au possible avec une prostipute, ce type est une véritable plaie... Comme pour mieux tester sa relation avec son "pote", il lui balance dans la tronche tout ce que l'on dit (en mal) de lui et, cherry on the cake, va jusqu'à se marrer comme une truie quand il repense à la mort du petit frère de Falk... A force de chauffer le Peter (qui attend le tueur comme d'autres attendaient Godot), ce dernier va sortir de ses gonds et les deux hommes de se fracasser comme des chiffonniers dans les rues humides de ce petit coin de Pennsylvanie. Décadence amicale totale... Le final placera-t-il la barre encore plus haut ? Rien n’est impossible.
Une bonne vieille image cradingue des seventies, des rues de Philadelphie à peine éclairées qui donnent envie de se pendre (ou de prendre une cuite définitive), des petits bars enfumés et gais comme des pinsons morts, on prend toujours un certain plaisir malsain à se refrotter à cette bonne vieille esthétique de notre enfance. Mais fi de ce décor peu reluisant. L'essentiel se joue dans la gouaille de ces deux individus sans pitié qui s'aimèrent tant au temps de l'innocence et qui dorénavant se "supportent" sans avoir franchement plus grand chose en commun... Leur histoire tient juste par un semblant de fil qui les relie vers le passé mais ce fil risque de se rompre au moindre petit coup de dent. Cassavetes excelle dans cette grandiloquence bouffonne et cette capacité, après un coup d'éclat, à sourire comme une merde, Falk tient quant à lui la corde pour montrer dans un oeil plein d'empathie et dans l'autre des envies de meurtre. On se demande lequel touchera le fond en premier... Falk n'est pas épargné par son camarade pour le mettre plus bas que terre - on a rarement vu Columbo le visage aussi déconfit... La vengeance est un plat qui se mange sorti du four ? Le Peter, après une nuit de haine, peut-il faire abstraction et sauver ce pote d'un autre temps ? L'époque (sur fond de Vietnam dans les médias - le film fut tourné en 1973) n'est pas à la rigolade et la fin sent de plus en plus le souffre… Film rugueux et sans concession comme on les aime, un genre de noir d’un nouveau genre en un sens, et deux acteurs fantastiques, comme d'hab, constamment à fleur de peau... Je suis bon pour m'enquiller les quelques films de Cassavetes qui manquent, sur ce blog, à l'appel.