La Jeunesse de la Bête (Yajû no seishun) (1963) de Seijun Suzuki
Le cinoche de Suzuki dépote et ce polar mené de main de maître le prouve une nouvelle fois. La Jeunesse de la Bête semble parfois partir un peu dans tous les sens (toujours ces histoires de gang à la con chez les Japs : nom de Dieu, ce type en costard fait partie de quelle bande ?) et ne fait pourtant que creuser le même sillon : démontrer la gangrène de la société jap livrée à des gangs sans foi ni loi. Qui s'y colle pour la démonstration en bonne et due forme ? Joe ? Eh ouais, notre bon vieux Joe Shishido, l'homme à la violence cachée dans les bajoues, le seul, le vrai. Ancien flic mis au ban, Joe veut venger la mort d'un commissaire, l'un de ses potes, dans des conditions douteuses (double suicide avec une putasse ? pas son genre, au gars). Pour cela, quoi de mieux que d'infiltrer un gang, puis deux, puis de les lancer les uns contre les autres pour les écrémer avant de pouvoir mettre la main sur le responsable du meurtre de son ami... Joe n'étant pas un adepte de médecine douce, autant dire que cela risque de particulièrement déménager dans les bureaux des malfrats...
Suzuki ordonne et dirige son film en virtuose (le montage est une fois de plus de haut vol ; la mise en scène toujours en mouvement) et l'on passe d'une séquence à l'autre avec la même rapidité qu'une bille de patchenko dévalant son chemin de croix. Joe intègre un premier gang en jouant les fiers-à-bras (pas grand-chose ne lui résiste) et finaude pour intégrer le second. Ensuite, avec une certaine maestria, il va convaincre les uns et les autres des coups foireux de leurs ennemis (tout en étant le principal protagoniste des règlements de compte ou des braquages, chez les uns comme chez les autres). Certaines séquences s'enchaînent avec un tel sens de l'ellipse, qu'il y a parfois un peu de quoi s'y perdre : à l'image finalement de la capacité de Joe a brouillé les pistes, a joué les faux-semblants. Tel un Jack Bauer des sixties, il parvient à se tirer des situations les plus incongrues (va récupérer un flingue au bout d'une table quand tu as les pieds attachés au plafond, vas-y, essaie) et organise une pétarade finale (pousser un chef de gang à se faire exploser en bagnole dans la maison de l'ennemi, c'est radical) des plus virevoltantes. Les femmes jouent ici un rôle moindre, même si à la toute fin on se rend compte que certaines tiennent intelligemment les rênes (elles ont dans l'ensemble plutôt intérêt à la jouer discrète pour ne pas finir le visage en forme de "store vénitien" - le rasoir utilisé de façon horizontale et non verticale est dommageable pour la santé). Le cinéaste nous régale toujours avec ce soin particulier accordé au second plan (cette merveilleuse scène "en sous-sol" - le QG du gang - où l'on aperçoit, derrière les vitres du fond, toute la petite vie que l'on mène à l'intérieur de la boîte - avec putes et alcool à foison ; cet écran de cinéma en "toile de fond" dans un autre gang) : ces mouvements perpétuels rendent parfaitement du "désordre" total de cette société où tous les coups (bas si possible) sont permis. L'attention du spectateur se doit d'être constamment de mise pour ne rien manquer à cette foule de petits détails, d'informations et de personnages qui influencent en continue le récit. Du polar punch, intelligemment monté, esthétiquement soigné : du Suzuki à fond les manettes...