La Marque du Tueur (Koroshi no rakuin) (1967) de Seijun Suzuki
Petit cycle Suzuki et nippon cette semaine pour accompagner la lecture du dernier Murakami (histoire de trouver un peu d'homogénéité dans ce monde étrange où Bayrou a encore de l’influence). Suzuki, et sa grammaire cinématographique toujours aussi séduisante (montage "éclair", mise en scène stylée, cadre propre), nous emmène donc cette fois-ci sur la trace d'un tueur, pas forcément celui du titre (le "tueur n°1" qui laisse un petit trou sur le front de ses victimes), mais plutôt celui incarné par Joe Shishido (l'acteur aux plus belles bajoues de la galaxie), élevé au rang de tueur n°3. Joe est un tueur à gages d'une efficacité indéniable qui, à la suite d'un contrat inachevé, va voir son petit monde bouleversé : une organisation qui le traque, sa femme et son amante qui se font menaçantes (avec un flingue dans le lit, on peut dire cela), et le fameux tueur n°1 qui, lâché à ses trousses, tente de le rendre dingue. Joe, ce tueur à la gâchette précise, jamais à court d'idées pour trouver un angle de tir particulier ou pour surprendre ses adversaires, va prendre un sacré coup dans les bajoues : plus question de faire le mariole dans toutes les positions du kamasutra lors d'un retour de mission (le repos du guerrier est mort) - ce qui est en soi bien dommage tant Suzuki n'est jamais à court de petites trouvailles érotiques avec des pépettes finement taillée dans la glaise (...) ; Joe va devoir, sans sombrer dans l'alcool ni la fatigue, être d'une vigilance extrême s'il ne veut pas y laisser sa peau... C'est couillon la vie d'un tueur, surtout lorsqu'on devient une proie.
Suzuki aime le cut, le montage elliptique, et l'on se retrouve sans avoir tergiversé vingt minutes directement dans l'action. La première mission menée par Joe consiste à protéger un homme important et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il va devoir essuyer de multiples tirs... Si son conducteur fait dans le grand-guignol (de la drôlerie délirante à la nippone), Joe n'a pas le temps de se dérider pour prouver son efficacité. Il trucide à tour de bras et se permet même une jolie petite délicatesse en grillant un homme dans un bunker... Ça va vite, on a parfois presque peur de perdre le fil (Suzuki faisant confiance à l'intelligence de son spectateur pour rapidement combler les trous) mais bim bam boum, on va de mission en mission et Joe de rencontre amoureuse en rencontre érotique (la fine liane de sa femme étant remplacée par la fameuse Annu Mari et son visage si... troublant)... avec toujours la peur de se prendre une balle... On va voir notre homme perdre peu à peu pied (l'alcool encore), se raisonner (tuer sa femme froidement c'est le minimum), délirer (faire l'amour avec un écran de cinéma c'est jamais bon signe) et tenter de ne pas tomber dans la folie de la parano : faut dire que le tueur n°1 est un sacré client pour alterner déconne et menace de mort (les deux hommes se retrouvent finalement confinés dans un appart, bras dessus bras dessous, en attendant que l'un déjoue la surveillance de l'autre). On est toujours sur un fil d'équilibriste entre le grotesque (je suis allé pisser avec mon tueur) et la tragédie, le côté implacable d’un destin funeste (il ne devra en rester qu'un). Même si le final tourne un peu en rond (un dernier tiers un petit peu longuet), on apprécie une fois de plus la patte de notre Seijun, véritable roi nippon de la série B : sex, gun, laugh and death - avec une facture formelle toujours aussi chiadée.