Gens du Lac de Jean-Marie Straub - 2018
85 ans, le Straub, et il ne bouge pas d'un iota avec ce film toujours aussi austère et exigeant, aussi chiant aussi, hein. Pour cette fois, il s'intéresse à un roman de Janine Massard, qui a enquêté sur les rapports des pêcheurs du lac Léman avec la résistance. On y suit donc le périple de Paulus, brave pêcheur suisse, qui de jour traque le brochet comme tout bon traqueur de brochet, échangeant les informations sur son butin avec ses collègues comme si de rien n'était, et la nuit aide les résistants à passer le lac, en silence, dans un secret très bien gardé. Straub installe sa caméra aux abords du dit lac, sur une barque à moteur, sur les rives, envoie ses travellings latéraux aller et retour ou ses "travellings naturels" à bord d'un bateau, filme la parole en véritable janséniste, l'entrecoupe de longs écrans noirs de temps en temps, et propose un intense essai sur le courage presque inconscient de ces héros ordinaires. Dire que le résultat est spectaculaire serait mentir, tant on est là face à un cinéma de l'épure totale et de la sobriété érigée en un des Beaux-Arts. Mais la quiétude des lieux, filmés aujourd'hui, la diction scolaire de l'acteur, le travail sur le son, la précision des cadres, tout fabrique une vision apaisée du monde alors que se livrent dans le texte des passions et des événements très vibrants, comme si résonnaient encore dans ce lieu les éclats de la guerre et du malheur. Toujours en colère, Straub oppose la bourgeoisie assise de son point géographique aux violences de la guerre, et le fait dans le plus simple appareil : un texte, un lieu, une caméra pour les enregistrer, et vogue la galère. Le texte, assez remarquable par son malheur contenu, aide beaucoup à l'intensité de ce film straubissime, ramassé, court, qui montre un cinéaste encore bien ancré dans la vie, et qui a encore des flèches dans son carquois. C'est chiant, oui, mais c'est fort.
Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez