Les Camarades (I Compagni) (1963) de Mario Monicelli
On continue notre tour d'Italie par Turin avec cette fois-ci, aux commandes, soyons un peu sérieux, un Italien. Mario Monicelli nous emmène dans le Torino de la fin du XIXème dans une usine textile où les horaires de travail sont un peu lourds (14 heures par jour) et les conditions un rien rustiques. La fatigue flingue nos enfants, femmes et hommes et les accidents s'enchaînent. Temps de réagir ? Oui, of course, et la venue d'un "étranger" (le « professeur » Marcello Mastroianni, chaussé de binocles, est, comme toujours, parfaitement crédible) va permettre de mettre le feu au poudre : la grève et des revendications multiples semblent bien être le seul moyen de lutter contre des conditions inhumaines (tremble, Macron !). Même s'il faut faire des sacrifices (la faim et les diverses maladies sont tenaces), il s'agit de ne rien lâcher ! La résistance s'organise, la solidarité tente de s’organiser pour tenir le coup malgré l'usure : les patrons finiront bien par craquer. Ou pas.
Monicelli nous immerge dans ce monde du travail duraille et dans cette petite communauté où l'on survit tant bien que mal. Les noirs, couleur encre, et ces blancs, éclatants, donnent une image assez bluffante notamment dans les scènes d'intérieurs - gros travail sur la photo, indéniablement, qu’on dirait d’époque – ben si, justement, j’y étais. Les séquences en extérieur, avec ce brouillard stagnant, possède tout autant de cachet. Véritable galerie de portraits (tous les personnages sont vite attachants, du sanguin Raoul (Renato Salvatori) au patapouf enragé Pautasso (Folco Lulli)) qui laisse la place belle aux émigrants français (Blier, Périer, Girardot : on savait accueillir à l'époque). Mastroianni tente de donner le la pour que ce petit monde continue de se serrer les coudes. Eduqué (l'instit Périer) ou moins (cette bonne vieille bouille de Blier), chacun tente d'apporter sa petite pierre à l'édifice de la résistance ouvrière. Face à eux, des cadres et des dirigeants plus condescendants que bienveillants, des beaux enfoirés, qui une fois acculés, somment les force de l'ordre d'intervenir. La violence face aux revendications de survie, le principe continuera de faire son chemin. On espère que le combat, au forceps, touchera au but et fera plier ces costars cravatés. C'est être d'un optimisme un peu forcé - c'est la lutte-euh finale, pan, et Monicelli d'avoir son Gavroche le nez sur le bitume... Oups.
Le monde ouvrier est ici sincèrement dépeint avec ses grandes gueules pas forcément courageuses et ses gens de peu qui savent le moment venu courageusement se rebeller. Du lever, au petit matin, à la fin de soirée où l'on finit abruti en passant par la pause déjeuner toujours trop courte, on vit aux côtés de ces ouvriers pugnaces qui se raccrochent à un espoir (même s'il est vain) ou au sourire d'une jeune fille (un amour, lui, jamais vain). Mastroianni, sans le sou, malgré les coups durs, malgré les doutes, tente d'aller jusqu'au bout de la logique : Marcello, qu'on a rarement vu aussi fébrile "physiquement" (le double foyer lui fait un regard tout perdu) s'assume en homme de combat toujours capable de rameuter ses troupes (un coup de gueule final qui laisse des frissons dans l’échine). Un acteur juste, des seconds couteaux aiguisés, tout un monde honnêtement décrit : une immersion totale dans ce monde ouvrier en lutte qui fait encore son petit effet plus de cinquante ans plus tard. Un must du Mario.