The third Murder (Sandome no satsujin) (2018) de Kore-Eda Hirokazu
Ouh qu'il est malin ce Kore-Eda. On savait que le cinéaste nippon était finaud mais on ne s'attendait pas vraiment dans cette œuvre de "procès" à se faire autant manipuler, retourner, titiller. S'il faut une bonne heure pour que toutes les pièces du puzzle se mettent en place, pour que l’on connaisse les principaux éléments et personnages de ce procès (Misumi a tué son ancien boss - scène directe en ouverture. Pourquoi ?), il en faut tout autant pour que l'on se rende compte qu'il ne faut pas forcément se fier à ce que Misumi dit, prétend, raconte..., défaisant plus souvent qu’à son tour les différents morceaux du puzzle. Face à cet avocat prêt à tout pour le défendre (la vérité lui importe finalement peu, seuls importent les éléments qui permettront de minimiser les actes de son client), Misumi joue malicieusement sa carte, brouillant constamment les pistes : pour désarçonner la justice ou pour tromper tout son monde ? On pense au départ que le type est un peu frustre et s'est fait bêtement posséder ; a-t-il tué son boss pour se venger de son licenciement, a-t-il été payé par la femme de son boss pour qu'elle touche l'assurance-vie de son mari (Misumi touchant alors un pourcentage dessus), a-t-il voulu mettre fin à des années de pratiques illicites au sein de l'entreprise... ? On s'y perd un peu, tout comme l'avocat qui aimerait trouver un angle d'attaque solide pour sauver son client de la peine de mort. Bon, bordel, c’est quoi le motif ?... La solution ne serait-elle pas ailleurs ? Justement, outre ces deux hommes, censés s'entraider mais donnant souvent l'impression de "s'affronter", il y a la présence de deux jeunes donzelles : la jeune fille de l'avocat (présence fugace mais éclairante) et la jeune fille de la victime ; deux personnalités assez mystérieuses qui permettent de donner à ce procès une autre dimension.
L'avocat est un homme prêt à tout pour assurer la défense de son client, prêt à tout pour "sauver les apparences". On se rend compte justement que sa propre fille (dont il ne s'occupe guère) est passée maître dans l'art de manipuler son monde ; ainsi elle se révèle capable de produire sur commande une petite larme : cela va notamment lui permettre de se sortir d'une situation délicate (elle a volé dans un magasin) en attendrissant son père. Finalement, elle semble avoir bien appris la leçon de ce jeu de "dupe" dans lequel excelle son père (tous les moyens sont bons, tous les discours, tous les mensonges, tant que cela permet de limiter la condamnation…). L'autre jeune femme de l'histoire a un rôle encore plus important ; on comprend rapidement qu'elle entretenait des relations "tendues" avec son père - qui apparaît bientôt sous un jour de beau dégueulasse : il aurait ainsi violé sa fille. Celle-ci fréquentait le futur assassin de son père et l'on se demande si ce n'est pas la piste la plus sérieuse parmi ces divers motifs du crime. Cherche-t-elle à protéger Misumi coûte que coûte (puisqu’il lui a rendu service) ou Misumi cherche-t-il à la « préserver » par tous les moyens ? Si l'avocat semblait le plus apte à démêler l'écheveau de cette histoire tragique, cela devient moins évident à mesure que le film avance... Et si la justice, la défense même, étaient, dans ce récit où il s'agit de juger un homme et de prendre de la hauteur par rapport aux faits, les dindons de la farce ? Kore-Eda, sans qu'on y prenne garde, nous amène dans un petit chemin de traverse, plein de finesse, où l'on finit par remettre en cause les motivations, les attentes de chacun, avocat, juge, victime (la fille plus que le père tué) et surtout assassin. C'est un joli tour de force que cette œuvre traitée de façon peut-être pas forcément éclatante (sans que cela ne soit jamais ennuyeux), de façon sans doute moins "émotive" que certains des précédents films de Kore-Eda, mais avec un art de la mesure, de la petite nuance, de la subtilité (le spectateur se fait finalement progressivement son propre "jugement" sur chacun) relativement plaisant. Peut-être pas le film le plus bouleversant de son auteur mais qui possède en son sein suffisamment de malice pour qu'on y trouve son dû. Finasse et plein de tact.