Gremlins de Joe Dante - 1984
Jurassic Park, Trop Belle pour toi, Gremlins, vous me trouvez ici en pleine régression adolescente, ou plutôt, pour faire sérieux, en pleine période de vérification de la viabilité des films mythiques de ma jeunesse. Celui-là n'a franchement pas à rougir du poids des ans : Gremlins reste aujourd'hui le Divertissement Parfait, le genre de film-défouloir qui fait du bien par où il passe, même s'il passe plus par les zygomatiques que par le cerveau. Une entreprise bon enfant de démolition des motifs de l'enfance, ça ne peut pas être mauvais, et voilà ce à quoi Dante s'attelle en ces bonnes années 80. Lui qui vient des films d'horreur pour teenagers semblait être le plus mauvais choix pour réaliser un film de Noël pour enfants ; mais c'est là que le génie de Spielberg, à la production, rentre en jeu : Dante va être là pour saboter de l'intérieur le genre, pour amener la pollution nécessaire au sucre des "Disney productions", et pour casser les beaux joujous amenés par Santa Claus... tout en obéissant scrupuleusement au cahier des charges des films grand public, petites bêbêtes cromignonnes, héros positif, fin heureuse et magie de la neige qui tombe sur une petite société pavillonnaire idéale.
Les 3 premiers quarts d'heure seront donc consacrés au monde merveilleux des Mogwaïs, leur trop mignonne bouille et leur petites émotions. Le héros, jeune puceau propre sur lui, recueille la marionnette chez lui, et c'est un concert de miaulements craquants et de guimauve dégoulinante. Le papa est trop rigolo avec ses inventions qui ne marchent pas, la plus grande catastrophe est constituée des dégats du jeune chien fou Barney (hihihihi) ; et même la méchante de service semble issue des films pour enfants, mégère bougonne et sadique qui torture le gentil chien (torturer un gentil chien, c'est le comble de la méchanceté dans les films pour enfants). Une histoire d'amour se prépare, Noël et ses cadeaux approchent, la neige tombe doucement, tout respire le confort de la classe moyenne, on n'est pas loin du monde parfait. Même quand Billy enfreint une des règles principales et bibliques de l'élevage du Mogwaï ("Le mouiller ne feras pas"), les ersatz de créatures qui en résultent sont certes un poil plus turbulents, mais restent tout à fait craquants.
Joe Dante va alors pendant l'heure qui reste retourner son film comme un gant, et nous en donner la version noire, genre où il est de toute évidence bien plus à l'aise et bien plus enthousiaste que pour le lisse des films pour enfants. "Le nourrir après minuit jamais n'oseras", le doudou fricotte avec les sauriens, et bim voilà nos Mogwaïs transformés en Gremlins, immondes créatures rachitiques et grenouillesques qui vont mettre la ville à feu et à sang. Le côté punk de Dante joue alors en plein, et tous les motifs de la magie de l'enfance sont passés à la moulinette par les gremlins : ils ruinent un film de Disney en coâssant la chanson des 7 nains, ils fument, ils boivent, ils montrent leur zguègue (les créatures sont hyper sexuées alors même qu'elles sont dépourvues de bite), ils se foutent de la gueule de E.T., ils cassent la vaisselle, pendent le chien, ils assassinent le black de service, ils pulvérisent un magasin de jouets et terminent à la tronçonneuse. On sent qu'il en aurait fallu peu à Dante pour faire de son gentil scénario de base un film d'horreur grand crin, qu'il n'aurait pas fallu le pousser trop pour qu'il assassine son casting lisse et donne toute leur ampleur aux monstres proto-punk ; il s'arrête juste avant que ça dégénère trop, certes, mais il aura eu le temps quand même de cultiver une impolitesse qui fait plaisir dans un cinéma habituellement bien inoffensif. C'est très mal joué, c'est filmé sans invention, la fin est bien-pensante, oui ; mais on voit quand même là-dedans le film d'horreur pénétrer avec ricanements et tâches de bière dans le monde des blockbusters, et peu de gens l'avaient tenté à l'époque. Comme si les Black Blocs débarquaient dans le film de Noël, comme si Leatherface se retrouvait dans un Capra : un vrai plaisir. (Gols 03/05/18)
C'est vrai que malgré l'âge et les petits défauts d'animation inhérents (surtout quand les gremlins arrivent en ville), on continue de prendre plaisir à ce petit nougat vite acidulé, à cette guimauve sauce tabasco. Dante, qui se plaît aux allusions cinématographiques de Spielberg à Scott en passant par Hitchcock (quand la mère se saisit d'un couteau pour trucider un monstre, la musique se fait immédiatement hermannienne en diable - et en scie), tente en effet de fracasser le film de Noël comme on casserait un jouet non désiré. Si le discours sur la notion "d'étrangers" est un peu tendancieuse (le "gremlins" constitue au départ un synonyme d'objet d'origine étrangère : il vient et, incapable de s'adapter, fout le bordel ; d'un autre côté, le petit Mogwaï est, lui, l'étranger qui s'assimile (il pose volontiers avec le drapeau américain), et son possesseur, un Chinois vieille école, se verra en charge de la morale finale, pleine de sagesse, face à ces Américains moyen peu responsables... Une certaine ambivalence, donc, dans ce fond de discours...), si la critique du divertissement facile bat son plein (du jeu de poker, en effet, à la télé qui en prend pour son grade avec ces écrans qui multiplient à l'infini l'image du gremlins et cet écran que fracasse notre héros dans sa fougue ; le cinéma, lui, va apaiser (au moins pour un temps) notre bande de gremlins dégénérés), on apprécie surtout ce petit côté foutraque et gentiment gore de la chose : gremlins passés au presse-purée, explosés au micro-onde, éventrés à grands coups de couteau de cuisine ; la ménagère de moins de cinquante ans a enfin l'occasion de faire parler sa rage au sein de sa cuisine et ça dépote sa mère... Le vieux, pour sa part, n'est pas oublié, puisqu'il s'envoie en l'air de façon jouissive avec ce monte-escalier transformé en fusée Ariane ou se retrouve broyé par un chasse-neige - ça fait toujours plaisir ce genre de petites séquences croquignolettes. Bref, on fend de l'intrus et on se fend encore suffisamment (cromignon, quand même, notre Mogwaï, avec ses petites mines et sa dévotion héroïque contre ses propres frères ennemis...) devant cette petite buche de Noël dantesque dans ta gueule. A réserver aux plus petits pour leur faire haïr Noël. (Shang 08/01/24)