LIVRE : L'Ami parfait (Den perfekte Vännen) de Jonas Karlsson - 2009
Les livres de Karlsson sortent en France dans un joyeux désordre, mais on retrouve indéniablement le regard original du brave Suédois dans chacun d'entre eux, si bien qu'on a l'impression, mais oui, que le gars est en train de construire une oeuvre. Oh, bien sûr, pas une oeuvre surpuissante et unique, mais il y a une cohérence indéniable dans le ton employé dans tous ses livres, un mélange de comique absurde, de surréalisme et de fond de gravité qui, à chaque fois, bluffe pas mal. Ici, on est dans la veine légère du bougre : 14 petits textes drolatiques qui apportent chacun son petit lot de divertissement, de fun et en même temps de douce réflexion philosophique. Que demander de plus ? Le thème de (presque) toutes ces nouvelles : le point de bascule, c'est-à-dire ce moment infime où on prend la mauvaise décision, où une phrase ou un geste mal calculé débouche sur une série de catastrophes. La première nouvelle est emblématique de tout le recueil : parce qu'il a voulu faire une blague à un copain, parce qu'il s'est caché dans l'armoire pour lui faire peur, un type est enfermé dans un appartement et doit se cacher quand la soeur adolescente de son pote organise une fête sexuée. C'est la spirale que décrit très bien Karlsson : le point de départ de chaque situation est dérisoire (quelqu'un nous dit bonjour, on ne sait pas qui c'est mais on fait semblant ; un billet de tombola perdu ; un bibelot qu'on laisse cassé...), mais les conséquences sont dramatiques.
L'imagination de Karlsson déploie sa puissance dans ces petits textes légers, et chaque nouvelle situation est une nouvelle preuve de l'univers absurde qui l'habite. On n'est pas dans la grande écriture, le style (d'ailleurs traduit de façon très hétérogène par une armée de traducteurs, voire même des étudiants) est un peu anonyme, mais c'est le talent de conteur qui marque. Les textes sont brefs, enlevés, très bien rythmés, et même si l'auteur évite les annotations psychologiques lourdes, ils sont toujours intelligents. Il sont surtout très drôle, d'un humour un peu kafkaien (comme l'était son excellent roman, La Pièce), une façon bien à lui de vriller la réalité, de lui donner une nouvelle texture, tout en restant dans un quotidien repéré et dans une certaine vraisemblabilité. Résultat : un vrai plaisir de lecture, 14 petites bulles de dérision qui nous racontent des histoires "qui pourraient arriver" malgré leur aspect décalé, et un regard original sur notre quotidien. Tout est question de regard, et celui de Karlsson est très attachant.