Pattes blanches (1949) de Jean Grémillon
La petite Suzy "hôtesse" Delair joue avec le danger : elle se croirait presque dans un film de Rohmer en accumulant les amants ; en number one, Fernand Ledoux as Jock Le Guen, la mèche rebelle, le verbe gras, une intelligence de comptoir qui n'hésite pas à faire passer au départ la chtite Suzy pour sa nièce - il lui a mis le grappin dessus, il compte bien se la marier ; en number two, Paul Bernard dit Pattes blanches, le noble déchu du coin avec ses guêtres et sa hallebarde dans le cul ; en number three, Michel Bouquet as Maurice (24 ans, je ne l'ai même pas reconnu mon Michel, malgré son regard unique), le frère bâtard du précédent, un type un peu fou-fou qui a le coup de foudre pour la Suzy. Ces trois-là sont aussi différents que l'habitat des trois petits cochons et l'on sent couver le drame. La Suzy, à mes yeux aussi sexy qu'une table de chevet mais qui n'hésite jamais à découvrir du mollet ou à s'habiller légèrement (on est en 49 tout de même...), joue un jeu forcément très dangereux, entre opportunisme malsain et coup de cœur impossible (craquer pour le Maurice, faut quand même avoir un certain instinct auto-destructeur) ; l'amour est encore aveugle à cette époque et nos trois mâles jouent à fond la carte de l'amoureux transi, même si certains ont un peu passé la limite d'âge de consommation... Le récit s'emballe comme un coup de vent violent (je suis toujours en zone d'influence cyclonique, cela influence forcément) lors du dernier quart d'heure et l'on se demande si l'un des quatre protagonistes principaux restera encore vivant avant le couperet du générique - les sentiments exacerbés, c'est jamais bon signe...
Avouons que l'on reste pendant une bonne partie du film un petit trop "spectateur" de ces acteurs qui se la jouent chacun dans leur style (un Jock popu un rien gouailleur, Pattes Blanches droit comme un i et tout étriqué, Bouquet le jeune premier au verbe haut et au souffle court), des acteurs au service des « bons mots » du gars Jean Anouilh (Tiens Gols a vomi... mais il est sectaire, je me dis, parfois). On assiste à du cinoche un peu trop classique, calibré, hein, mais qui se complaît peut-être un tantinet avec les stéréotypes ; Suzy "le fond" Delair est fraîche, certes, malheureusement son personnage de femme fatale manque de fond et de forme : la Suzy n'est ni sulfureuse ni capable d'inventer l'eau tiède. On est en revanche beaucoup plus intrigué par cette curieuse servante interprétée par la chtite Arlette Thomas : au départ, son regard semble aussi vide qu'une urne mahoraise mais son personnage semble cacher de mystérieux secrets ; la fin, cendrillonnante, donne comme une sorte de magie surannée à cette femme timide et réservée - ce n'est peut-être pas là non plus d'une originalité transcendante mais cela permet de donner à ce caractère effacé un petite touche des plus touchantes. Le drame donc va finir par se nouer lors de ce mariage provincial où l'on n'hésite jamais (la finesse de la gaudriole française) à boire comme des trous noirs et à faire tourner les serviettes dans la tronche de son voisin. Suzy et Jock boivent du champagne à pleine gueulée, olé, mais la nouvelle mariée ne va pas tarder à faire quelques infidélités à son mari aviné... Battre la campagne avec un fusil à la main, serrer le kiki de son prochain au bord d'un ravin, la sauvagerie provinciale va être à son comble dans ce final des plus tournoyants - La tragédie atteint là son paroxysme même si la petite touche d'Arlette Thomas va rapidement faire retomber par sa grâce et son innocence cette violence stupide et gratuite. On apprécie un certain sens du mélodrame chez notre ami Jean A. et de la mise en scène chez notre Jean G., on s'accorde à trouver cette montée en puissance dans la tension relativement réussie mais on doit avouer qu'on serait sans doute un petit ton au-dessous d'un Paul Vecchiali dont je viens tout juste de découvrir la petite chronique : "Il y a des films que l'on jurerait écrits avec du sang, tournés comme un cauchemar, vécus à fleur de peau". Le Paul s'emballe peut-être un brin mais ne lui en tenons point rigueur en ces temps si mornes, avec des personnages cinématographiques souvent si mous et sans ossatures. Ouais, montrant pattes blanches et apprécions notre petit Grémillon du mois, il nous en reste que peu à découvrir après tout…