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5 février 2018

Chronique des Années de Braise (Ahdat sanawovach el-djamr) (1975) de Mohammed Lakhdar-Hamina

Pas le plus facile des films palmés à trouver. Chronique des Années de Braise s'inscrit dans les bonnes fresques historiques seventies (3h, toute l'Algérie coloniale dans une assiette) qui dénonce frontalement la politique française (les colons étaient-ils franchement tous des cons ? Me rappelle pas des Dossiers de l'Ecran sur ce thème) et qui bénéficie de la totalité des habitants du pays au niveau de la figuration (on ne faisait pas dans la demi-mesure à l'époque). Ces Années de Braise sont en particulier le récit d'un homme qui va, c'est le moins qu'on puisse dire, connaître tout au long de sa vie des hauts et des bas mais surtout des bas. La moindre petite tentative d'espoir, la moindre petite pointe d'optimisme a tendance à se payer dans ce monde décidément trop injuste. Ses aventures sont suivies de près par une sorte de "fou du village" qui n'a de cesse de faire des commentaires grandiloquents sur notre homme du haut de son cimetière. Un récit qui sent la mort ? Oui, entre autres, ainsi que la précarité, la pénurie, la maladie, la guerre... autant de thèmes qui seront brassés dans cette épopée filmée à hauteur d'homme.

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Ahmed, c'est son nom, n'est pas du genre à attendre les bras croisés que les choses lui tombent du ciel. D'ailleurs, il sera l'un des premiers à quitter le village avec toute sa famille pour aller en ville : la sécheresse se fait de plus en plus sentir et toute idée de culture ou d'élevage relève de la folie douce. Cette pénurie d'eau crée notamment des tensions entre les deux clans qui "se partagent les eaux" du fleuve. On assiste d'ailleurs à un véritable pugilat entre les deux villages jusqu'à ce que la pluie tombe enfin : on était dans les bras l'un de l'autre pour se mettre des pains et, tout d'un coup, sous cette offrande du ciel, les ennemis de toujours tombent dans les bras l'un de l'autre. Cela donne le la en quelque sorte de cette chronique où il suffit parfois d'un rien, d'un geste, d'un coup du sort, pour changer tout un destin. Ahmed, après une énième sécheresse, traverse donc le désert à pied pour se rendre en ville ; il a la chance de rapidement trouver un boulot et la malchance de rapidement... mettre son poing sur la gueule de ce colon de patron. Lorsqu'il se dresse le bras levé, tenant encore de l’autre main celle de son fils, pour casser le bras du boss qui le menace de sa férule, on ressent quelques frissons dans le dos ; Lakhdar-Hamina distille d’ailleurs tout du long quelques scènes-chocs qui nous font sentir tout petit dans notre siège. Ensuite, ce sera une longue suite de misère : la maladie, la typhoïde, qui décime sa famille, le retour au bercail la tête basse, l'explosion du barrage des « puissants » (une petite seconde de bonheur et d'alliance avec la tribu ennemie) et le triste salaire de l'audace (il est enrôlé de force dans l'armée française... il reviendra seul du front, tous ses comparses étant tombés). Viennent alors les années les plus "politiques" à la sortie de la guerre et la question cruciale qui se pose : peut-on traiter pacifiquement et diplomatiquement avec les colons pour aller vers plus d'autonomie ou faut-il prendre les armes - face à un pouvoir qui s'impose avec la force, on ne peut rétorquer qu'en utilisant la force... Un dilemme crucial se joue entre les autochtones qui n'est pas sans rappeler un récent roman sur le thème, L'Art de perdre.

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Trois heures c'est chiant, non ? Alors... S'il faut bien reconnaître que l'image semble avoir été piétinée par tout un troupeau de moutons fuyant la mise à mort, disons en toute bonne foi que le cinéaste connaît plus d'une ficelle pour ne pas donner à son film fleuve des allures de pensum. Il sait varier avec une grande diversité plans d'ensemble et plans serrés (belle école du montage), donne l'impression d'être constamment en mouvement (sa caméra, qui use des panoramiques, glisse avec une grande classe sur ces paysages jaunâtres et ces figurants harassés) et sait toujours couper à point nommé une séquence pour qu'elle ne devienne pas interminable. Ces trois heures, découpées en six parties, se suivent assez facilement malgré l'ambiance souvent plombante (non Ahmed, non, tu ne vas encore t'attirer des emmerdes... Quelle tête de lard cet Ahmed - mais c'est aussi le combat d'une vie, cette volonté de vouloir rester droit dans ses bottes). Le portrait des différents colons est sans concession (et le rôle civilisateur de la F... ? ta gueule) à l'image de cette scène de joie stupide lorsque les colons reviennent dans le village (ils ont eu le droit, eux, d'être évacués) alors que la moitié des habitants a été décimée - ce n'est pas seulement de l'égoïsme aveugle, mais de la connerie brute. Belle chronique, prenante dans le fond et dans la forme, mais un film qui mériterait, ce ne serait pas un luxe, d'être copieusement rénové - un cri dans le désert pour ce seul film africain qui bénéficia de la grâce du jury cannois ?

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