3 Billboards : Les Panneaux de la Vengeance (Three Billboards Outside Ebbing, Missouri) (2018) de Martin McDonagh
On avait déjà souligné un certain potentiel chez McDonagh dans le brouillon Bons Baisers de Bruges ; si j'avais pour ma part souligné des influences tarantiniennes, l'ami Gols avait évoqué une tendance coenienne. Avouons qu'il n'avait pas tort, tant cette œuvre respire l'influence des frères, et ce pas uniquement par la présence hantée de Frances McDormand. Intrigue policière travaillée, personnages jamais tout blanc, jamais complétement noirs, insidieuse morale (c'est bien gentil l'esprit de vengeance mais ça n'amène jamais que plus de merdes...), le cinéaste marque des points avec ce film qui nous tient en haleine de bout en bout en sachant constamment savamment nous surprendre (cela faisait bien longtemps que je n’avais pas dit du bien d’un film ricain, d'où joie et un brin d'exagération).
Frances veut un coupable. Depuis sept mois que sa fille est morte (violée puis calcinée), l'enquête n'a pas avancé. Elle provoque donc le chef de la police (l'incontournable Woody Harrelson) en louant trois panneaux publicitaires géants à la sortie de la ville pour l'interroger sur ce statu quo. Une provocation qui ne tarde pas à évoquer une certaine émotion en ville, d'autant que le pauvre Woody est atteint d'un cancer - dans sa phase terminale. Frances, elle, s'en tape, elle veut juste que justice soit faite. Le ton ne tarde pas à monter entre les deux clans (Frances vs la police feat. guests) et comme dirait Kad Merad dans Je vais bien ne t'en fais pas, c'est (rapidement) l'escalade. Passage à tabac, suicide, incendie, la petite ville d'Ebbing risque bien de finir à feu et à sang...
Des personnages solidement campés, disais-je (la digne Frances qui n'hésite jamais à passer à l'acte, un Woody emmerdé qui tente de donner le change, un flicaillon incontrôlable qui a tout de même un coeur, un nain avec une certaine grandeur d'âme (l'excellent Peter Dinklage)...), des situations imprévisibles qui dégénèrent souvent violemment (le dentiste de Frances aurait mieux fait de fermer sa gueule) ou qui tendent vers l’absurde (les deux ennemis qui se retrouvent dans la même chambre d’hôpital) et un engrenage qui se met dangereusement en route. L'une des meilleures séquences qui résume à elle-seule tout le film (et l'état dégénérescent de l'Amérique actuelle ?) est celle où le pauvre Woody, interrogeant Frances, lui crache involontairement (le cancer...) du sang à la figure... On sent dans cette scène tendue, où chacun défend bec et ongle sa position, toute la matrice du film : si chacun suit sa propre logique vengeresse, personne n'en sortira indemne : le bain de sang est inévitable ; comme toute sagesse, toute compassion, toute tolérance (Frances n'est pas non plus toute rose, notamment avec notre ami le nain...) semble avoir déserté cette Amérique-là, sans un minimum de sang-froid, on risque bien d’aller droit dans le mur mes agneaux. McDonagh, avec sa galerie de personnages, ses multiples rebondissements, sa capacité à jouer dans le registre le plus sombre tout en emmaillant les scènes d'un certain humour à froid (l'originale petite discussion entre les deux chaussons de Frances : mignon et osé), gagne ses galons de cinéaste avec cette œuvre beaucoup plus maîtrisée et finaude que son premier long-métrage. Un concurrent certain pour les Oscars, à n'en point douter, ne serait-ce que pour rendre hommage au crétinisme dangereux de Trump, héros de cette Amérique (même si Spielberg a déjà choppé le sujet qu'il fallait pour être favori cette année...). (Shang - 17/01/18)
Pas très convaincu, loin de là, par ce film qui sent la fabrique et l'école d'écriture par tous les bouts. Dès le départ, avec la mise en place de ces panneaux et le chaos qu'ils vont déclencher en ville, on sent un peu le problème : la vraisemblance n'y est pas. Chacun des personnages de cette communauté est un cas, un doux dingue joué bien entendu par un acteur à gueule, qui ne semble engagé que pour la douce folie un peu décalée qu'il va déployer. Le scénario va ainsi se balader de coïncidences extraordinaires (un flic qui se retrouve dans la chambre d'hôpital du type qui l'a défenestré, un violeur découvert au hasard d'un bar pile au bon moment) en à-peu-près bien pratiques, développant un réseau de personnages et de situations trop rigolos et attachants pour être crédibles. Autant le dire, j'ai détesté la direction d'acteurs, malgré le casting trois étoiles : McDormand en fait des tonnes dans son personnage de femme rigide figée dans son désir de vengeance, Harrelson fait clairement son malin, et surtout Sam Rockwell réinvente le terme de cabotinage avec son flic raciste et abruti qui se découvre une âme de justicier. Pris dans cet univers grand-guignolesque et grimaçant, le film a beaucoup de mal à s'extraire d'un savoir-faire un peu facile, donnant au public sa dose régulière de "wouaouh" et de "non ?..." avec beaucoup trop d'artificialité, et peinant à trouver réellement son ton, entre comédie acerbe et drame. Les Coen, oui, comme référence, mais eux savent au moins mieux gérer l'écriture. Entièrement à la merci de son efficacité et de ses acteurs, 3 Billboards oublie au passage de faire de la mise en scène : je l'ai trouvée très plate, entièrement organisée autour des minauderies de ses trois acteurs principaux, oubliant de montrer la communauté autour, uniquement soucieux de raconter coûte que coûte son histoire extravagante : on a quand même là-dedans un suicide, deux incendies criminels, un mari violent, une défenestration, une agression à la roulette de dentiste, une bagarre de bar, une rédemption, le tout en deux heures de temps. Certes, on en a pour nos 6 euros d'entrée, mais trop c'est trop, on décroche bien vite de cette trame fabriquée, et on se contente d'ouvrir un oeil sur telle scène plus réussie (la séquence avec le nain, effectivement très jolie) ou sur un détail (qui a trouvé le costume de McDormand ? sans déconner, c'est abusé). L'école des forts en thème qui ont eu des bonnes notes en cours de narration fictionnelle, très peu pour moi. (Gols - 13/02/18)