LIVRE : L'Art de perdre d'Alice Zeniter - 2017
Alice Zeniter raconte en trois parties le destin de trois générations : Ali, combattant de la seconde guerre mondiale et harki, Hamid, son fils, qui fit tout pour s'intégrer en France et faire de brillantes études et sa propre fille, Naïma, employée dans une galerie d'art moderne et ayant l'opportunité de retourner pour un temps limité au pays des "origines", l'Algérie. Sans que l'on sente tout le poids de l'Histoire avec un grand H, Alice Zeniter parvient à nous faire ressentir "de l'intérieur" toutes ces années troubles, des années 50 à la déclaration de l'Indépendance en 62. Par le biais d'Ali, propriétaire terrien qui a fait son trou à la force du poignet, on comprend toute la duplicité dans laquelle il se trouve au moment de la montée du FLN ; il ressent à la fois une certaine fidélité à la France (dont il est fier des 7 kilos de médailles qu’il exhibe à l’occasion) mais surtout le désir de préserver son village des mises à mort aveugles, par les forces françaises ou de libération ; il tente de naviguer dans cet entre-deux guère confortable et décidera, en 1962, par peur des règlements de compte, de partir avec toute sa petite famille en métropole... Terre d'espoir, de renaissance, d'avenir... My balls, oui, puisqu'il se retrouvera baladé de camp en camp comme si l'Etat français ne savait que faire de cette population. Là encore, Zeniter nous fait toucher du doigt toute la frustration qu'a pu ressentir cette famille dans ce "choix" un tantinet forcé... Malgré tout, les descendants d'Ali (en particulier Hamid et Naïma que nous suivons dans leurs premières années de vie) feront tout ce qui est en leur pouvoir pour tracer leur route dans cette société française pas toujours très juste envers les personnes qui lui furent fidèles. Sans chercher à replonger dans le passé familial ni à se cacher derrière des excuses faciles, le père et la fille suivront leur petit bonhomme de chemin dans cette France des Trente Glorieuses and after. Zeniter, au travers des yeux et des pensées de Naïma, évoque aussi bien les attentats terroristes de ces dernières années que les années "troubles" de l'Algérie contemporaine ; pas toujours facile d'être une femme libérée de ce côté ou de l'autre de la Méditerranée, mais la curiosité de Naïma (plus qu'une quelconque nostalgie ou envie de savoir) va l'amener sur les terres de son grand-père lors d'un voyage mémorable. Ecrit dans un style clair, sobre (rien de transcendant à ce niveau-là, juste une fluidité relativement agréable), Zeniter parvient avec un certain talent et sans nous assommer de faits historiques à nous faire ressentir quel put être le parcours de ces hommes, ces "harkis", qui n'eurent pendant bien longtemps que trop peu de place dans l'Histoire de France. Sans chercher à prendre parti, l'auteure fait montre d'une certaine prise de distance, pour ne pas dire d'une certaine objectivité pour nous décrire les soixante dernières années de cette famille ballottée entre un passé en Kabylie et une adaptation « coûte que coûte » en cette douce France plutôt rugueuse au premier abord. Un bouquin qui ne cherche pas à nous écraser sous les référence et qui décrit sans rancœur et dans un style clair (banal, dirait Gols au taquet) cet aspect pas toujours très reluisant de l'histoire française. Pas mal pour une saga.