LIVRE : Dernières Nouvelles (The ancient Minstrel / Brown Dog) de Jim Harrison - 2013/2016
La pire nouvelle de 2016 fut sûrement la disparition du grand Jim, et depuis on se console comme on peut en allumant des cierges, partant à la pêche à la truite, taquinant la gorette ou lisant les dernières publications restantes du maître. Comme cet ouvrage, annoncé cette fois comme l'ultime fournée de textes inédits. Et ça valait le coup de racler les fonds de tiroir, puisque voilà trois merveilles de simplicité signées par un gars qui a souvent été plus à l'aise dans la forme courte que dans le roman. Deux courts romans et une nouvelle donc, pour faire un état des lieux du style de Harrison en fin de vie.
Le premier texte, "Les Oeufs", est tout à fait représentatif de son écriture. Le gars, sans aucune construction, se foutant comme de son premier steak tartare de la progression dramatique ou de la trame, dresse le portrait d'une femme, passionnée depuis toute petite par les poulets et les animaux en général, émancipée et moderne, à la recherche désespérée d'un gusse qui lui donnerait le bébé attendu. On repense à Dalva, sa plus grande héroïne, dans cette nana qui ne ressemble à nulle autre, capable des pires énormités et de gestes d'une poésie magnifique dans la même seconde. Il y a surtout un portrait des animaux qui bouleverse, une attention à leurs postures, à leur nature, qui montre un Harrison passionné par la nature, qu'il s'agisse de poules, de chiens, d'ours ou de fourmis. Le texte ne tient pas toutes ses promesses jusqu'au bout, il est un peu long et la fin est sacrifiée. Mais ce petit roman met en bouche pour attaquer le gros morceau, tout simplement l'ultime retour de Chien-Brun, personnage éternel de Harrison au cours de sa vie. C'est le deuxième texte, "Le-chien", un des sommets franchement de l'oeuvre tardive de Jim : jamais le personnage n'avait paru aussi humain, aussi attachant, aussi crédible que dans ces 100 pages émouvantes, drôles, foutraques, libertaires. Chien-Brun y traverse le territoire américain, toujours dilettante, toujours à l'instinct, toujours sexué comme un taureau, image d'une Amérique oubliée, celle des Indiens et du naturalisme, entièrement guidée par ses sensations. Là, encore pas ou peu d'histoire à proprement parler, mais une manière, un style unique, qui permet à Harrison de s'ébattre en totale liberté au milieu de la politique, de la nature, des femmes, des animaux, de la vie : une prise directe avec celle-ci.
Enfin, "L’Affaire des Bouddhas hurleurs" est peut-être plus anecdotique, ressuscitant le temps d'une dernière affaire Sunderson, le privé un peu borgnole des quelques livres récents du maître. Mais s'y dessine un autoportrait saisissant : par-delà l'enquête déjà vue autour d'une secte, l'auteur s'y dépeint de manière à peine voilée en vieillard obsédé sexuel (qui plus est, par les filles de 15 ans), incapable même en ses vieux jours de résister à une paire de seins, un steak à la poêle ou une partie de jambes en l'air. Il serait encore vivant, il serait cloué au pilori par les #balancetonporc, mais tel quel, ce texte est miraculeux, plein de vie, drôle et provocateur. Surtout, il donne l'occasion à Harrison de tirer sa révérence en bonne et dûe forme, puisque, tant pis pour le spoilage, Sunderson finit par mourir luii aussi à la dernière phrase de la nouvelle. Adieux bouleversants et discrets, d'une élégance rare, même si Harrison, jusqu'au bout, nous aura montré son cul, qu'il avait conséquent, en même temps qu'il signait une des plus belles oeuvres américaines du siècle.