LIVRE : La Disparition de Karen Carpenter de Clovis Goux - 2017
Grandeur et décadence des pop-stars sucrées dans la société du rock'n roll. Goux retrace pour nous la vie terne et désolante de Karen, star des Carpenters dans les années 70, joli groupe tout miel, familial et doux en surface, véritable marasme de dépressions et de maladies en-dessous, bourré de pilules, se faisant vomir dans les toilettes avant de rempiler pour un nouveau scopitone rose bonbon. Petit livre assez édifiant sur les dessous du show-biz, et sur une femme passant à côté de son destin, La Disparition de Karen Carpenter se fait aussi volontiers historien de l'histoire du rock des 70's, et des grandes transformations sociales américaines de cette époque. Autant dire qu'en 125 pages, le livre parvient à faire le tour de la question, et que Goux, en restant toujours clair et empathique, répond à une grande ambition. Dans une construction classique mais toujours efficace, il montre dans un premier temps l'ascension de ce groupe anachronique qui, au temps de l'avènement des Stones ou des Doors, parvient à faire son trou en diffusant une musique gentille, hyper calibrée, oecuménique. Son atout, derrière le talent d'écriture et de marketing de Richard Carpenter : Karen, chétive chanteuse et batteuse à la voix d'or, dans laquelle peuvent se reconnaître les jeunes filles bien-pensantes de l'époque. Une ascension qui passera par une bonne dizaine de tubes, et qui se déroulera par hasard et fort heureusement pour les Carpenters en pleine chute du flower-power : Altamont, l'assassinat de Kennedy et le meurtre de Sharon Tate signent la fin d'une utopie, et le groupe fait son beurre de ce retour aux traditions américaines. La guerre du Viet-Nâm vient là-dessus, et le groupe est alors au top.
Sauf que, deuxième partie du livre, Karen Carpenter n'était pas la princesse polie qu'on voulait qu'elle soit et qu'elle a accepté d'être. Le chapitre le plus beau est celui où elle enregistre un disque en solo (avec Phil Ramone comme chef d'orchestre !), disque beaucoup plus rock, beaucoup moins polissé : un chef-d'oeuvre visiblement, mais qui sera enterré sous le diktat des producteurs, et qui ne paraîtra jamais. Karen Carpenter sera condamnée à revenir à cette musique ringarde écrite par un frère de plus en plus déconnecté du réel, à tourner des émissions de télé ouatées et vieillottes, et à rester à sa place. A l'heure où disco et punk prennent naissance, la belle stagne, devient has-been, et s'écroule dans une anorexie ravageuse qui lui vaudra la mort à 33 ans. Goux raconte ça simplement, et restitue tout le pathétique de cette vie ratée, mais sans aucune cruauté, avec une vraie admiration pour le belle et pour sa musique. Pertinent pour mettre des mots sur la musique, intéressant pour planter en quelques mots une ambiance ou une époque, précis pour pointer les ambiguïtés de l'or du show-bizz, le gars réussit un essai passionnant, triste et original.