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23 octobre 2017

Detroit de Kathryn Bigelow - 2017

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Bigelow plonge inlassablement dans les traumatismes de l'Amérique moderne. Après Ben Laden, après la guerre en Irak, la voilà scrutant les scandales de la ségrégation raciale, cristallisant la chose dans un "incident" qui a eu lieu à Detroit en 1967. En immersion totale dans son sujet, y plongeant tête baissée sans aucun questionnement, elle réalise du coup un film certes spectaculaire, coup de poing mais un peu rapide au niveau de ses intentions et de ses aboutissants, lorgnant même vers un manichéisme qui ne l'avait pas tenté depuis longtemps. Au niveau formel, le film est parfait : l'essentiel se déroule dans un immeuble, concentrant toute une histoire noire de l'Amérique en un point minuscule, en un évènement exemplaire. En pleines émeutes qui ravagent le pays, un jeune Black s'amuse à tirer sur les flics avec un flingue en plastique. Persuadés d'essuyer de vrais tirs, ceux-ci vont garder en otage toute la nuit l'ensemble des habitants de l'immeuble, exerçant sur eux une pression psychologique et physique insupportable, dans le seul but de trouver l'arme. Un drame exacerbé par l'ambiance du dehors et par le racisme atavique de la police blanche de Detroit, et qui finira en véritable tragédie. Bigelow plonge là-dedans en reporter de guerre : son filmage est hystérique, avec ces plans d'une demi-seconde, cette caméra chaotique immergée dans les évènements, sa manière très CNN de passer d'un personnage à l'autre, d'un geste à l'autre, comme si l'action était trop rapide, comme si on attrapait au vol les images. Dans toute la première partie, ça gave sévère : véritablement bombardés d'images qu'on n'a même pas le temps de comprendre, on frôle l'épilepsie. On comprend bien que la dame veut ainsi densifier le moindre de ses plans, donner un aspect "infos modernes" à cet évènement ancien, doper au rythme des images d'archives. Et c'est vrai que pour filmer le chaos des manifestations, les charges de la police, les coups, les fuites, ce style paraît évident. C'est juste qu'on aurait aimé qu'une cinéaste confirmée comme Bigelow arrive à inventer d'autres formes, à ne pas se contenter du tout-venant.

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Heureusement la mise en scène se fait presque oublier quand on rentre dans le coeur du sujet, et c'est sûrement le plus grand talent de la réalisatrice. La forme est toujours aussi rapide, mais la chose devient plus lisible en resserrant sa trame. Place donc à la très longue torture des flics dans ce hall d'immeuble, grand moment de tension qu'on regarde bouche bée, un peu comme jadis les opérations militaires de Démineurs. Bigelow est géniale quand elle envoie du stress, et tout en respectant visiblement la vérité historique des faits, elle parvient à fabriquer un film éprouvant, varié, qui relance sans arrêt l'action. Elle a pour ce faire à sa disposition quelques personnages forts : un chanteur de la Motown raflé par erreur là-dedans, deux jeunes Blanches plus ou moins putes, un vague gardien de sécurité noir qui tente de temporiser, et surtout un chef de la police interprété avec un plaisir évident par Will Poulter. Si au niveau formel on est très impressionné par la lisibilité de la chose, par la fluidité du montage, par cette façon de faire exister différents personnages dans un même temps tout en maintenant la pression sur le spectateur, on ne peut que remarquer le manichéisme de la chose. Les Blancs sont tous des salopards avides de taper, les Noirs tous de braves gens victimes de violence. On aurait aimé plus de subtilité par exemple chez ce chef de la police, et il y avait de la place pour : bien aimé par exemple sa volonté de prêcher le faux pour obtenir le vrai (il fait semblant de butter un par un tous les protagonistes pour obtenir des aveux des "survivants"), ou sa totale absence de culpabilité quand il tire dans le dos de ses congénères ou maquille ses crimes en légitime défense. Le personnage aurait pu être plus dense, plus intéressant ; pareil pour le jeune chanteur, écrit comme un ange à la carrière brisée en plein vol par l'évènement. Mais Bigelow préfère (peut-être par crainte de tweets menaçants) être binaire. Le film est du coup privé de fond, ne prenant jamais aucune hauteur pour faire réfléchir à la chose, se contentant de nous immerger dans une injustice et de nous en mettre plein les mirettes. Elle essaye bien de nous tricoter un dénouement à thèse dans la dernière demi-heure, mais cette partie-là, ratée, inutile trop longue, ne rattrape rien. Au final, on aura assisté à cet évènement, qu'il fallait sûrement prendre avec des pincettes, comme s'il s'agissait d'un film d'action, certes très joliment exécuté, mais un peu destiné aux pop-corns.

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Commentaires
J
Elle fait le métier mais le reproche que je lui fais ainsi qu'à son film, c'est d'une part le côté choral (un paquet de personnages sensés personnalisés les contradictions de situations historiques) dans lequel on est pris au piège du dispositif et où l'on se noie, d'autre part un cinéma un tantinet bourrin qui vous assigne forcément à la place du spectateurs mis devant les vilénies de l'Histoire et qui soupire dans son siège en murmurant "ah, les putains de salauds !" et, pour finir, la désormais indispensable (et du coup forcément insupportable) scène de tribunal où la salle de ciné se met à hurler "ah, les putains de salauds !"... J'avais bien aimé "démineurs" et "zero dark thirty", ces individus addicts (l'un au danger, l'autre à sa traque) pris dans les tourbillons de l'Histoire et l'impératif de résultat, trajectoires sur le fil de la fiction, le côté dentelle versus le fatum, là c'est plutôt gros godillots. Je crois bien que son meilleur film à ce jour reste "strange days"...
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