LIVRE : Sur l'Ecriture (On Writing) de Charles Bukowski - 1945-1993
23 ans après sa mort, on continue d'exhumer régulièrement des écrits du bon maître. C'est parfois quelconque, mais c'est de temps en temps miraculeux, comme ce On Writing, compilation de lettres de Bukowski qui courent sur 50 ans et ont toutes pour sujet : l'écriture. Bon, et la bibine et les putes et la dèche aussi, hein, le tout étant lié en un chez le gars Hank. En tout cas, pour tous ceux qui tenaient ce génie pour un amateur dilettante aviné, ne sachant qu'utiliser l'insulte et la grossièreté, voilà le livre qui devrait les démentir brillamment : Buk s'y montre étonnamment cultivé, sensible et fin, dans ses mots très amoureux sur Céline, sur Tolstoï, sur Dostoievski, sur Hemingway, et surtout sur John Fante, l'écrivain adulé auquel on peut lire ici une très belle déclaration d'amour, discrète et respectueuse, à travers deux ou trois lettres parfaites. Henry Miller aussi, malgré les réserves tardives de Buk ("ses trucs à la Star-Trek", eheh), a droit à ses courriers admiratifs. Buk est un vrai amoureux de la langue, privilégiant les écrivains à style, mais un style vrai, débarrassé de toutes les forfanteries mondaines de 99% des auteurs de sa génération; Ces exercices d'adoration sont aussi délicieux que ses missives chargées de mépris sur les poètes du dimanche, asservis aux salons, sévissant dans des lectures publiques nombrilistes, ânonnant leurs âneries à base d'étoiles et de fleurs dans des revues jetables. Dans ces moments-là, Buk se fait pamphlétaire, violent, injurieux, et sert de vrais grands moments de colère, qu'il désamorce aussi vite dans un éclat de rire ou une grossièreté quelconque. C'est ça, Bukowski : un type tourmenté mais qui ne prend jamais tout ça trop au sérieux, qui pousse des gueulantes et déteste son monde actuel, puis se retire bien vite pour se remettre à taper sur sa machine à écrire, baiser une gonzesse ou écouter une symphonie de Mahler.
Jalonnées de petits dessins marrants comme tout, ces lettres sont en grande partie adressées à des directeurs des revues auxquelles Bukowski a envoyé ses poèmes. La plupart du temps, il essuie un refus, mais se marre quand même, regrette de n'avoir pas de copie de son poème, insulte copieusement le gars, et tire un trait. Au fur et à mesure des années, on suit le succès grandissant du compère, les tentations de gloire qu'il prend systématiquement à contre-pied (dans un exercice, d'ailleurs, d'auto-sabordage assez curieux), et on devine en creux, malgré les livres vendues, malgré la reconnaissance, que cet auteur reste les deux pieds bien ancrés dans sa solitude et sa lose-attitude. Les plus belles lettres sont celles des années 85-90 où Buk, peut-être un peu moins alcoolo, sert quelques très belles pages plus posées sur cette frénésie d'écrire, se montre critique sur son travail, très fin sur son rapport aux mots. Un être humain vous écrit, les enfants, ce qui est assez rare pour se précipiter sur cette mouture bukowskienne pleine de tâches de gras et de vin, mais d'une sincérité à toute épreuve.