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6 septembre 2017

Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc de Bruno Dumont - 2017

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Une chose est sûre : Bruno Dumont cherche toujours la surprise, à déjouer les attentes du public et à créer des chocs esthétiques. Parfois, ça marche (P'tit Quinquin), parfois c'est un peu plus laborieux. Comme pour ce Jeannette qui, pour tout dire, m'a laissé un peu plus de marbre que les journalistes qui y ont trouvé l'archétype de la grâce et le sommet de l'oeuvre. Résumons : en 1425, Jeanne n'est pas encore d'Arc, mais est déjà une fillette hantée par les affres de la foi. Elle se sent révoltée par la main-mise des Anglais sur notre bon pays françois, en appelle à un libérateur, sans se rendre compte que sa rancune est en train de faire d'elle le libérateur en question. En grandissant, se sentant investie irrémédiablement par une mission divine et patriotique, la voilà prête à en découdre et à bouter de l'envahisseur hors de. Le film s'achevant au moment où elle part pour l'avenir qu'on sait, sur son cheval, frêle gamine amenée à devenir l'icône nationale (et nationaliste) de France. Bien. Charles Péguy en fait un texte fougueux et habité, qui montre la petite Jeanne heurter ses hypothèses religieuses au bon sens paysan de ses camarades ou de son oncle, et si on aime le style ampoulé et sépulcral, on aime effectivement ces tergiversations mystiques et la sorte de terreur que Péguy dessine tout au fond de son petit personnage quand il se rend compte de l'ampleur de sa mission. Dumont s'y attaque donc, à moitié passionné visiblement par son sujet.

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Il est beaucoup plus passionné semble-t-il par son abord d'un genre jusqu'alors inexploré par lui, et qu'on sent d'ailleurs à l'oposé de son bressonisme ordinaire (et de celui de son sujet) : la comédie musicale. Un petit coup de fil à Découflé pour les chorégraphies, un autre à Igorrr pour la musique, un casting de jeunes amateurs sans expérience, et le voilà embarqué dans le projet improbable de mettre Péguy en musique. Et dans la première scène ça fonctionne à mort : Jeanne, jeune enfant magnifique qui défie le ciel en cognant ses petits pieds dans la terre, chantant faux et dansant mal dans la campagne superbement cadrée, on est ébahi. La sauce a l'air de prendre, aussi étonnant que ça puisse paraître, et il y a, oui, dans ces gros plans sur le visage angélique de Jeanne quelque chose qui s'apparente à la grâce, grande thématique dumontienne entre toutes. La musique d'Igorrr, qui alterne les élans lyriques et le metal, donne aux chorégraphies simplistes et naïves de Découflé une aura moderne et enfantine qui colle parfaitement à la thématique. Dumont garde tout, les ratés comme les grands moments, ne repousse aucun regard caméra ni aucun couac, assumant complètement son côté amateur, le recherchant même : on a l'impression que la vie est là, que le cinéma lissé et professionnel habituel peut bien aller se faire voir, qu'on touche directement à l'enfance. On ne comprend rien au texte, saccagé par des petites actrices qui n'y comprennent goutte et qui ont du mal à le réciter entre deux mouvements de danse (le son est en prise directe) ; mais on s'en tape : importent beaucoup plus les frôlements d'habits, les sons d'oiseaux ou de sable que Dumont rend avec un véritable amour du direct, avec une franchise étonnante.

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Mais une fois ce principe posé, une fois ce début déployé, une fois son dispositif en place, le gars n'en démord pas. Il livre donc une succession de scènes très répétitives, qui ont du mal à se départir d'une mise en scène un peu paresseuse pour le coup, toujours chorégraphiées de la même façon, qui ne font jamais évoluer le film. On dirait que Dumont a eu une idée visuelle, mais une seule ; sur 1h45 c'est trop court. Le film fait énormément penser aux Straub, dans les cadres, dans l'inscription du texte dans la nature, dans la radicalité un peu forcée de son dispositif. Tout comme les films des Straub, il finit par ennuyer. Malgré quelques très jolies scènes accidentées (le personnage de l'oncle est génial), le gars donne l'impression de jouer "contre" ses partenaires, un peu comme ce fut le cas dans Ma Loute : on imagine Découflé et Igorrr regarder le résultat, et se dire qu'ils se sont fourvoyés dans un projet qui ne leur ressemble pas. Les actrices sont magnifiques, insolentes de beauté, mais Dumont les dirige mal, uniquement préoccupé par son principe et peu soucieux de construction. Les tergiversations mystiques de Jeanne finissent par nous les briser menues. On se console en regardant ces très beaux paysages, on reste confiants envers le cinéaste le plus audacieux du moment, on se marre encore une ou deux fois devant les gags pourris et les interprétations impossibles des acteurs, mais on se dit aussi que le gars s'est montré un peu feignant sur ce coup-là, se contentant de sa première idée et verrouillant son film dès la première scène. Peut-être le compère lira-t-il ces lignes, il importe donc que je lui redéclare mon amour infini. Mais j'oublierai ce Jeannette, et on n'en parle plus.

Commentaires
J
Oui mais des Straub-Huillet qui auraient laissé tomber Bach pour le metal (bon enfant ce metal toutefois, ici) et, surtout, découvert que les acteurs pouvaient bouger, laissant de côté enfin le balai-dans-le-cul que le couple de réalisateurs arthritiques plantaient dans le fondement de leurs interprètes.<br /> <br /> Je viens seulement de visionner ce film et la copie que j'en ai affiche des sous-titres pendant les passages chantés, rendant ceux-ci parfaitement intelligibles. Ces non acteurs et non actrices sont plutôt à la hauteur du défi qui leur est lancé et leur jeu, peu affecté par le maniérisme des pros, naïf souvent, colle assez à cette mise en scène qui rappelle bougrement ces peintures religieuses dites du moyen âge et, du coup, l'on est plus dans le mystère qui se donnait, paraît-il, sur le parvis des cathédrales que sous les projecteurs de Broadway. Le texte (de Péguy uniquement ?) est assez classe, c'est une belle langue, d'un très bon niveau quoique l'on en dise et je reste assez estomaqué par l'aisance que ces jeunes interprètes mettent à l'"enquiller" sur des plans assez longs. <br /> <br /> Ce "Jeanette" est nettement plus réussi (malgré, en effet, sa mise en scène un peu trop répétitive, un peu trop "facile", dirais-je, plutôt que paresseuse) que "ma loute" (où le choc entre le jeu hystérique des acteurs pros avec le jeu brut de décoffrage des amateurs rendait la première heure du film totalement insupportable) et confirme que même un film imparfait de Bruno Dumont vaut toujours mieux qu'une de ces Fémisteries, usinée par un de ces perdreaux du jour, qui saturent le paysage cinématographique made in France de leurs bluettes intimistes ou de leurs lamentos sociétaux. Bruno Dumont reste surprenant, quitte à décevoir, quand tant d'autres restent prévisibles.
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