Les Innocents charmeurs (Niewinni czarodzieje) (1960) d'Andrzej Wajda
Le Wajda des débuts, c'était franchement mieux qu'une paire de mocassins à gland. Avec Les Innocents charmeurs, c'est toute la new wave européenne qui déferle sur la Pologne et l'on se régale de bout en bout avec cette amourette d'une nuit plus romantique que tragique. On retrouve Jerzy Skolimowski au scénar (avec Jerzy Andrzejewski que je connais moins...) et l'on comprend que l'acteur principal lui-même, arrivé au bout de la nuit, lui rende un petit hommage en s'adressant face caméra. Ah, mesdames, on savait à cette époque fabriquer des histoires d'amour avec un fil de pêche et une jeune fille au regard hameçonneur...
Il y a clairement du A Bout de Souffle dans ce Wajda-là, puisqu'il s'agit de suivre les pas du séducteur blondinet Tadeusz Lomnicki qui semble ne faire plus grand cas des femmes. Docteur pour boxeurs de jour, batteur à ses heures la nuit, l'homme est entouré de nymphettes auxquelles il ne jette même pas un oeil (je me suis forcément tout de suite identifié). Et puis, et puis, un soir de blues, on croise un pote au comptoir (l'excellent Zbigniew Cybulski, dit l'homme aux lunettes fumées), un pote qui voudrait bien se faire la chtite qui s'ennuie à une table, il monte un plan et vous voilà avec la chtite sur les bras... Au début, vous marchez ensemble dans les ruelles sombres, vous racontez n'importe quoi, vous faites semblant de vous prendre au sérieux tout en déconnant gentiment, vous marchez en direction de chez elle mais elle fait un pas de côté, vous allez donc chez lui, vous badinez, rigolez, faites semblant d'être amants, vous pensez à peine à vous embrasser sachant que l'heure viendra, vous jouez à un jeu à la con (un strip-poker sans poker) avec une boite d'allumettes, vous rigolez un peu jaune devant la lourdeur de la chose, vous vous endormez, et puis vous vous réveillez amoureux sans même encore vouloir l'admettre... Un film qui repose sur rien et sur tout, sur deux jeunes personnes qui se croisent sans plus y croire et qui finissent par se retrouver une petite lueur d'émotion amoureuse au fond de la pupille…
Faut dire que la chtite Krystyna Stypulkowska, elle envoie du bois avec son petit air mutin. Elle voit bien que le blondinet est revenu de tout, qu'il cache des bas de femmes dans tous les recoins, qu'il la joue dur à cuire en faisant une omelette au lever du jour, mais elle sait aussi pertinemment qu'elle finira bien par s'incruster dans son esprit... Il faut voir le gazier au petit matin partir dans toute la ville au guidon de son scooter pour retrouver cette belle de nuit... qui n'avait fait qu'une petite escapade dans le quartier et qui l'attend finalement patiemment dans son appart (après avoir fait le ménage – je dis ça, je dis rien, pour le coup). Notre homme n'ose faire le premier pas, elle fait mine de n'en avoir rien à faire, mais impossible de lutter - la limaille de fer sera toujours attirée par l'aimant... Wajda filme tout cela comme une évidence, guidant sa caméra sur la pointe des pieds dans cet appart si étroit. Une pointe de musique jazzy vintage, une bande de potes pour donner le change (avec deux apparitions de Polanski, toujours à fureter dans les films polonais des sixties), un fond de vodka et c'est parti pour un petit film romanticissime malheureusement oublié au fond des tiroirs du temps. Charmeur, innocent, diablement revigorant. Merci Andrzej et RIP comme disent les jeunes.