Neruda (2017) de Pablo Larrain
Après le somptueux Jackie, il était tentant de découvrir la vision biopicienne nerudienne de Pablo Larrain. Le cinéaste, une nouvelle fois, derrière la petite ou la grande Histoire, semble plus intéressé par une mise en abyme du personnage de Neruda qu'au traitement sagement basique de ce que fut sa vie. On assistera donc à une longue course-poursuite dans ce Chili transformé en immense terrain de jeu (de massacre anti-coco) où les sentiers bifurquent : soit donc Pablo Neruda, homme rondouillard qui aime à se perdre au besoin dans les bras de quelques créatures dévêtues dans les bordels du coin, poète paisible menant tranquillement sa barque et s'amusant presque d'être poursuivi (il se fait une joie de laisser des indices - notamment des livres - partout où il passe) et son poursuiveur Oscar Peluchonneau (Gael Garcia Bernal l'oeil froid et le nez droit) serviteur du pouvoir totalement obsédé par cette traque... Il pourrait s'agir d'une simple petite balade touristique de Santiago à la magnifique région montagneuse de l’Araucanie mais c'est, comme dirait l'autre, beaucoup plus complexe que cela. Derrière ce jeu du chat et de la souris, se dessine un véritable jeu littéraire avec Neruda en écrivain prenant de la hauteur sur ce Chili "vengeur" (alors aux mains des Ricains et leur fameuse chasse au communisme en Amérique Latine) et Peluchonneau en narrateur fatalement destiné à jouer les personnages de second plan. Tout du long, les allusions se multiplient quant au rôle que chacun est destiné à jouer : l'auteur a toujours un coup d'avance sur cet inspecteur qui lit certes les ouvrages de celui qu'il poursuit mais sans être capable de "lire entre les lignes", d'être au niveau de ce créateur qui se joue de cette créature policière. Ne pouvant me targuer de connaître l'œuvre de Neruda (désolé), on sent qu'on passe forcément à côté des clins d'œil multiples qui lui sont faits, mais cela ne nous empêche pas de prendre un certain plaisir à suivre les aventures entre cet auteur plein de malice et ce lecteur qui a toujours un train de retard...
On retrouve chez Larrain une grande maîtrise de la mise en scène et du montage : on apprécie en particulier ces fluides travellings-avant suivant un personnage et s'arrêtant subitement (comme une façon de "casser" les effets gratuits de la mise en scène) ou ces séquences, impliquant plusieurs personnages discutant entre eux, qui sont filmées dans deux lieux différents : c'est monté de façon là encore très fluide mais ce passage d'un lieu à l'autre alors même que la discussion se poursuit semble permettre à Larrain de jouer avec les codes mêmes du biopic : qu'importe finalement le respect de la "vérité", du réalisme pourvu qu'il y ait l'esprit, le sens des mots, des idées. Du même coup, même si cette course-poursuite paraît parfois un poil fastidieuse (mais avec un final dans un sublime écrin qui donne l'impression d'avoir quitté définitivement notre espace-temps), on prend tout de même un certain plaisir à regarder cette "reconstitution cinématographique" qui tente plus de s'appuyer sur des codes purement littéraires que sur ceux du sempiternel biopic romanesque. Malin.