Une si jolie petite Plage d'Yves Allégret - 1948
Le Nord, ses paysages riants, son climat de rêve et sa populace typique : c'est dans ce coin enchanteur que Gérard Philipe a choisi cette fois-ci de tirer une gueule de trois mètres de long, enfermé dans son déterminisme de pupille de l'Etat, et traînant derrière lui le boulet de son passé. Le gars débarque de nuit dans cet hôtel de fin du monde battu par la pluie, pour soit-disant reposer ses nerfs. Il est en fait un pauvre bougre que le malheur a suivi depuis l'assistance dont il est issu, revenant dans ces lieux pour un dernier adieu à tout ce qu'ils ont représenté pour lui. Peu à peu, son mutisme dépressif laisse apparaître la cruelle vérité : il a assassiné une chanteuse à la mode, qui a utilisé son innocence pour s'amuser le temps d'une amourette et lui a ensuite mené la vie dure. Le gars est coupable, le sait, et n'attend plus que l'arrivée de la police. Pour combler l'attente, il erre dans les rues détrempées du village, sur cette plage où il vécut jadis sa solitude, dans cet hôtel où les bien-pensants lui ont fait connaître l'enfer. Un sujet fermé par tous les bouts, qui fait du pessimisme son cahier des charges, et devrait vous filer le bourdon pour les trois mois à venir.
A Shangols, on n'aime vraiment pas ce cinéma hyper-formaté d'avant-guerre, et c'est vrai que cette fois-ci encore on tremble plus d'une fois devant la mise en scène d'Allégret. Difficile de vibrer totalement pour ce pauvre garçon fantomatique, tant tout paraît artificiel dans cet univers : la lumière qui tombe façon peinture flamande sur les beaux yeux de Madeleine Robinson (bien jolie ma foi), la construction hyper-calculée du scénario, le jeu caricatural des acteurs, les saynètes romantico-mièvres dans les cabanes abandonnées, les dialogues finauds et irréalistes, les seconds rôles à trogne (Carette, comme toujours)... Ce cinéma-là n'existe définitivement plus, et on se demande un peu si c'est un mal. Mais ceci dit, Une si jolie petite Plage marque vraiment des points par son nihilisme obstiné, qui semble se répercuter sur tout le film. La photo d'Alekan strictement envahie par la pluie, la grisaille et la nuit, fait beaucoup pour l'ambiance très mélancolique de cette histoire ; si on y ajoute la voix presque inaudible, quasi-murmurée de Gérard Philipe, cette rengaine qui passe en boucle sur le tourne-disques et qui vient hanter le jeune homme, cette atmosphère fantomatique (le vieux muet qui reconnaît Philipe, l'ancien amant de la chanteuse qui habite dans la chambre à côté comme un remords qui ne desserre pas les crocs sur sa proie), et la profonde tristesse due à la lenteur des plans, on se retrouve dans une véritable élégie cruelle, qui sacrifie toute trace de beauté possible et l'enterre dans la boue. Allégret développe aussi une jolie idée, celle du destin qui se répète (et se répètera, on l'imagine, ad lib) : il construit parallèlement à l'histoire de Gérard Philipe un autre destin, strictement semblable, et on imagine ce jeune garçon de 15 ans déjà pris dans les rêts de la fatalité finir dans la même misère que notre Gégé. On l'aura compris, c'est pas la fête de la saucisse, mais le film est beau et triste, et c'est pour l'époque une belle marque de talent.