L'Homme de fer (Czlowiek z zelaza) (1981) d'Andrzej Wajda
Dieu sait et Lénine aussi que j'aime Andrzej Wajda (notamment celui du tout début), mais reconnaissons que j'ai un peu souffert à découvrir cet Homme de fer. Sur le fond, bien sûr que le film, tourné dans la foulée des manifestations ouvrières des années 80 en Pologne, est difficilement attaquable. On sent que le cinéaste a pris la balle au bond de l'Histoire et, par l'intermédiaire de son héros à l'origine des événements de Gdansk, parvient à retracer dix ans de lutte (de père en fils) : il évoque les manifs étudiantes de 68 puis celles, tragiques, de 70 où l'on retrouvait les ouvriers des chantiers navals. On sent toute l'envie de Wajda à pouvoir enfin parvenir à donner la parole à ceux que le parti a réussi à étouffer pendant plus d'une décennie. Il nous fait découvrir toute une foule de "petites gens" (ouvriers, journalistes...) qui par leur engagement et leur pugnacité ont fini par faire évoluer les choses. On suit en particulier le parcours d'un journaliste que "les hommes du pouvoir" veulent manipuler pour pouvoir organiser la répression ; ce dernier, conscient dès le départ d'être utilisé à des fins guère avouables (alors même qu'il était témoin des revendications ouvrières en 70), commence en transpirant à grosses gouttes sa "mission" ; il sera heureusement progressivement gagné par la foi qui agite les uns et les autres, des gens du peuples bien décidés, cette fois, à mener le combat à son terme. Wajda insère, plus ou moins habilement, des images d'archives des divers événements (plus anciens et récents) mais la pilule, si elle n'est pour le coup pas dénuée de consistance, est un peu lourde à avaler sur plus de deux heures...
Voilà une palme éminemment politique pour un film qui a su capter l'air du temps (plus que Danton, par exemple, voyez) : on sait à quel point le festival est friand de ces films en phase avec l'actualité, même si parfois ils ne font pas preuve de très grandes originalités formelles (Michael Moore acquiesce). Et s'il est forcément louable de célébrer le combat de cet homme de "fer" (qui reprend le flambeau de son père adoptif croix de fer en main (une croix qu'il installera en toute illégalité en pleine rue, sur le lieu où le pater fut abattu par la milice)), s'il faut reconnaître le travail de recherche indéniable du scénariste pour mettre en scène les divers acteurs de ces événements et leur écrire des dialogues fidèles à la réalité, on est forcément beaucoup plus déçu, justement, par la mise en scène. Certes, les interviews ne sont pas ce qu'il y a de plus fun à filmer (les éternels champs/contre-champs), et le sujet pourrait se passer de toute recherche dans l'esbroufe formelle. Certes. Mais c'est un peu pesant et lourd à la longue... Wajda n'est pas toujours ultra finaud pour placer des images d'archives (celles des négociations entre ouvriers et politiques que l'on découvre suite à un coup de fil : on a d'abord le son en off, au téléphone, puis les images - c'est terriblement poussif comme idée de montage) et la petite pointe romanesque-romantique qu'il tente de développer avec l'histoire entre son héros (Jerzy Radziwilowicz as Maciej Tomczyk) et la toujours sublime Krystyna Janda as Agnieszka manque un peu de souffle... Certes, ils ne sont pas vraiment à la fête, nos deux jeunes gens (lui ouvrier elle journaliste) devant livrer de front leur combat face aux autorités toujours à l'affût du moindre raffut. Mais quand Wajda ose, à leur sujet, faire dans "l'émotion" (leurs séparations notamment sur un quai de gare) on ne peut pas dire qu'on soit dans du Demy... Ça tombe même un peu à plat, oserais-je, malgré les petits yeux rouges de la si blonde Miss Janda. On n'ira pas jusqu'à dire que le film se déroule sous une sorte de chape de fer (c'est un peu l'idée, remarquez) mais avouons qu'on a connu Wajda plus inventif dans son cinéma. Les petites pitreries alcooliques du journaliste, au début du film, tombe vite à l'eau (c'est le moins qu'on puisse dire puisque l'alcool est interdit pendant la grève) et ce personnage qui apportait un semblant de grotesque fait long feu. Bref, il faut une sorte de croyance dure comme fer envers le sujet pour aller jusqu'au bout de la chose. Une palme politique, donc.