Crisis in six Scenes de Woody Allen - 2016
On a lu un peu partout, et Woody lui-même l'a dit, que ce Crisis in six Scenes était une catastrophe, que le gars n'avait rien compris aux recettes d'une série, qu'il fallait oublier ce truc, etc. Heureusement que Shangols est là pour rétablir quelques vérités : voilà un excellent Woody Allen. Franchement, où peut-on trouver un tel humour, une telle fantaisie, attachés à une telle modestie, dans le cinéma et dans la série actuels ? Nulle part, je ne vous le fais pas dire. Woody nous pond un de ces petits trucs sans façon qu'il nous offre à intervalles réguliers, une petite comédie vitaminée et tendre, pleine de bons mots et de punchlines, et nous ravit, renouant toutes proportions gardées avec Manhattan Murder Mystery. Il est vrai qu'au niveau de l'obéissances aux règles de la série, il est aux abonnés absents : on a droit là à un long-métrage de 2h30, découpé très arbitrairement en 6 épisodes d'égale longueur, mais qui se fout hardiment des cliffhangers de fin d'épisode et de la montée de l'action. On reste dans ses pantoufles, mais comment lui en vouloir à 80 berges de ne pas vouloir changer ses vieux pots ? La critique de la télé et de la commande qu'on lui impose est d'ailleurs contenue dans la série elle-même, et Woody ne se prive pas de cracher dans la soupe qui le nourrit, pour notre plus grand bonheur.
Dans les anénes 60. Sydney Munsinger est un bourgeois de gauche, ex-écrivain raté, condamné aujourd'hui à écrire des publicités débiles pour des produits débiles. Il file une petite vie tranquille avec sa femme, psy branquignole qui se cogne des cas pathétiques et organise chez elle des salons de lecture entre petites vieilles. Leur petit confort assoupi va se retrouver explosé par l'arrivée dans leur foyer d'une criminelle en fuite, révolutionnaire activiste, qui va pulvériser façon Théorème leur univers. Le jeune homme qu'ils hébergent va se mettre à fabriquer des bombes, le club de lecture va passer à des lectures plus velues (Mao et Marx), la femme de Munsinger va doucement céder au goût de l'aventure et passer des mallettes de billets aux Black panthers, et Munsinger lui-même va devoir mettre la main à la pâte s'il veut se débarasser de la jeune femme qui lui vide son frigo et dérange ses convictions. Woody, on le voit, attaque frontalement les siens, cette génération de gauche satisfaite, propriétaire et solidaire quand elle se brûle dont il fait partie : ses saillies réactionnaires font tout le sel de la chose, et on voit bien que le gars est de gauche uniquement quand son économie n'est pas attaquée. On jubile de voir cette famille traditionnelle américaine dynamitée de l'intérieur par cette jeune effrontée qui pilote tout assise sur une chaise et dévorant des cuisses de poulet.
Franchement, dans chaque épisode il y a au moins une scène d'anthologie. Que ce soit les simples dialogues impeccables, plein de répliques inoubliables, ou les scènes "d'action" (le couple contraint de fuir la police), les épisodes chez la psy (Gad Elmaleh en guest) ou les épiques réunions des petites vieilles envisageant un happening à poil devant la Maison Blanche, on passe un moment excellent. Si Miley Cyrus manque vraiment de charisme, Woody Allen, malgré son grand âge, retrouve la verve de ses vingt ans, et la formidable Elaine May est une complice taquine et très marrante. Ça fait tout drôle de voir notre Woody retrouver quelques tics de son passé, il n'y a que lui qui bouge ou qui bégaie comme ça, et rien que le regarder suffit à notre bonheur. Il y a toujours cette tendresse pour les personnages, cette façon de gentiment ressouder un couple autour d'une aventure extraordinaire, ou de pointer du doigt les amours éphémères de l'autre couple du film (les jeunes gens, qui se trompent puis se retrouvent). Dans le dernier épisode, Woody rend hommage aux Marx Brothers en remplissant littéralement son écran et son appartement de tout le casting, autre bonne vieille référence allenienne qu'on a plaisir à retrouver. Cet écrin de dialogues, certes pépère, certes pas nouveau, mais brillant, est habillé par une mise en scène très honnête, pleine de plans-séquences et de décadrages, et très joliment photographiée. Ajoutons en plus une musique grand crin et une myriade de seconds rôles parfaits, et on a là, mais oui, messieurs-dames, un des Woody les plus légers et les plus satisfaisants de ces dernières années.
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