Le Boucher de Claude Chabrol - 1970
La province vue par Chabrol : tout un poème, vu et revu par son auteur, et qui trouve dans Le Boucher une de ses plus directes expressions. Nous voici dans un petit village anonyme, avec ses mariages où est invitée toute la population, ses commères, son école, son bistrot, et son boucher. Rien que de très normal a priori, et Chabrol filme les rues et la campagne de son décor en plans-séquences de toute beauté, enregistrant la tranquillité éternelle et l'aspect bon enfant de cette ruralité très réaliste. Mais tranquille, le village ne l'est qu'en apparence. En bordure d'icelui se trouvent des forêts opaques et des grottes préhistoriques, et ce décor antique va servir de lieu où vont s'épancher les sentiments les plus reptiliens des personnages. En l'occurrence, amour, désir sexuel, et surtout meurtre. Une série d'assassinats est en effet signalée dans la région, des femmes jamais violées mais découpées façon autopsie. Le prétendant timide de la jeune institutrice, le boucher débonnaire, est-il l'auteur de ces crimes ? Chabrol fait très lentement monter la sauce, mêlant dans le même mouvement Simenon et Hitchcock, jusqu'à un final quasi-fantastique et effrayant.
Saluons d'abord l'interprétation parfaite des acteurs, professionnels (Jean Yanne, Stéphane Audran) ou non (toute la population du village, rivalisant de réalisme). C'est surtout le couple principal qui tient le film, puisque la plupart des scènes, à première vue anodines, sont discrètement portées par lui. Popaul aime la belle Hélène, qui se refuse à lui mais aime bien en même temps jouer les séductrices, et ce petit jeu de séduction-rejet est tout à fait bien rendu par le cinéaste. Il soigne également son contexte, la guerre d'Indochine et d'Algérie, toujours en fond d'écran pour induire une véritable bestialité sous le quotidien de ce paisible village. Dans un tel contexte, la noirceur peut éclater. Pendant une heure, il ne se passe pas grand-chose là-dedans, mais une foule de petits indices sont là, pour témoigner de l'approche régulière du danger : un briquet perdu par le meurtrier (un petit clin d'oeil à Strangers on a Train), quelques gouttes de sang qui tombent sur la tartine d'une belle enfant, un gigot découpé suavement par Jean Yanne, autant de bizarreries qui vont peu à peu faire éclore le drame. Il éclora en effet, dans la dernière demi-heure, très stylisée. Il y a des inspirations de "giallo" dans la façon dont Chabrol filme la nuit fatidique de l'institutrice, et aussi des inspirations baroques tout à fait démodées et tout à fait plaisantes : les grandes ombres qui s'étalent sur les murs, les gros plans sur le visage effrayé d'Audran, et le long suspense sur les portes (l'ai-je fermée à clé ou non ?). Autour d'elle rôde le boucher prédateur (ou simple amoureux ?) dans une réalisation qui resserre subitement son champ sur le drame qui se joue entre quatre murs. Pas de doute, Chabrol sait envoyer du style quand il faut du style. Allez, peut-être que, côté critique acerbe des atavismes français, le gars est un peu plus malhabile, ou dépassé en tout cas : le film est un peu ringard quand il regarde les rapports de couple, ou dans certaines séquences, comme cette curieuse parenthèse de répétition d'une fête d'école, où tout le monde est déguisé en marquis du XVIIIème siècle. Les intentions sont trop soulignées, Chabrol n'a pas tout à fait la main légère. Mais voilà une chronique sociale encore et toujours efficace, à défaut d'être super fine.