American Honey (2017) de Andrea Arnold
J'avais un peu peur au départ des 2h43 de ce road-movie dans l'Amérique profonde en compagnie d'une bande de jeunes un peu paumés. J'avais tort car le film de l'Anglaise Arnold passe d'une traite, dopée par une musique survitaminée - pas ma came, certes, mais avec un punch indéniable. Il s'agit donc de gamins plus ou moins allumés (ça fume, ça picole, ça baise à tous les étages) qui sous l'emprise d'une certaine Krystal (troublante Riley Keough) vont dans les quartiers chics de ces villes de province ricaine pour vendre des abonnements à des magazines - un scénar de départ des plus simples qui permet de suivre cette nouvelle génération totalement déconnectée et sans attaches, de croiser des bons vieux WASPS qui semblent s'auto-caricaturer, des cows-boys new-age plus rustres que leurs ancêtres ou des ouvriers dans la pétrole cons comme des bidons (forcément). De ce portrait de djeun's je-m'en-foutisme en diable à ces figures de trumpistes en puissance, on sent bien qu'Arnold réussit à sa façon à capter l'air du temps avec ces deux Amériques totalement déconnectées, absolument irréconciliables - entre le mode anar et rebelle un peu concon et ces conservateurs qui semblent sortir d'une peinture, on se dit que l'Amérique profonde ne fait pas vraiment rêver.
Mais Arnold ne se contente pas de filmer ces deux camps : elle s'intéresse aussi à la chaotique relation entre une certaine Star (Sasha Lane, plus vraie que nature dans ce rôle de gourgandine qui s'émancipe) et un certain Jake (Shia LaBeouf absolument hallucinant dans ce rôle de chien fou, à la fois opportuniste, hypocrite mais avec un coeur d'artichaut). Jake est l'homme à tout faire de Krystal qui le mène à la baguette (étrange scène, terriblement sensuelle et chargée de malaise, lorsque Jake passe de la crème sur les jambes d'une Krystal à moitié nue alors même que celle-ci recadre Star) ; Star est la dernière recrue de la bande : Jake doit la former à la vente mais on sent dès le premier regard qu'il pose sur elle qu'il a le béguin... Une histoire d'amour vaine, saine, impossible, passionnée, purement sexuelle ou plus sentimentale qu'elle ne paraît entre deux jeunes gens écorchés vifs ? C'est toute l'ambiguïté de la chose qui crée à la fois de lourdes tensions (Jake s'écrasant face à Star en présence de Krystal, Jake jouant les sauveurs à deux balles quand Star se retrouve en présence d'hommes étrangers qui lorgnent sur elle...) et de véritables échappées belles (chaque partie de baise sent le soufre et sonne comme des instants volés à ce monde de brutes où les valeurs comme les sentiments se sont fait la malle depuis longtemps). Sans dévoiler l'issue de cette envoûtante relation, disons qu'elle permettra simplement à la chtite Star, elle qui tout au long du film vient en aide à des insectes pris au piège, de "s'émanciper", la petite chenille maladroite des débuts apprenant peu à peu à voler de ses propres ailes. Un film d'Arnold très punchy avec, à l'image de ces deux héros confondants de naturel, un vrai sens de la "spontanéité" - un road trip moderne à découvrir.