Creepy (Kurîpî) de Kiyoshi Kurosawa - 2017
Ceux qui l'ont vu hurlent au retour du maître en terre fantastique, au chef-d'oeuvre, etc. Heureusement que Shangols est là pour apporter un peu de mesure à ces critiques dithyrambiques. Oui, certes, on retrouve avec plaisir notre KK se frottant avec les serials-killers de tout bord, et son film fait penser, par certains côtés à Kaïro et à Cure ; oui, sa mise en scène est vraiment impeccable, il est le maître pour savoir rendre un plan anodin inquiétant par le simple déclenchement d'un souffle de vent, d'un rideau qui bouge ou d'un décadrage bizarre.; oui, il réussit avec virtuosité ce mélange délicat entre film d'horreur et farce, entre burlesque et terreur. Mais à côté de ça, il réalise un film un peu ennuyeux, trop long d'une bonne demi-heure, et son goût pour brouiller les pistes ressemble ici à un acte pas très sincère et rend son film un peu flou. Alors ? Alors j'ai bien aimé Creepy, mais je trouve qu'il constitue un peu un aveu d'échec après les films certes imparfaits mais novateurs qu'il a réalisés récemment. C'était la bonne parole shangolienne du jour, vous pouvez me faire confiance.
La scène d'intro est sur-efficace, un interrogatoire de police qui se termine en bain de sang, et on redécouvre que Kuro est le seul à savoir réaliser des scènes aussi froides, mystérieuses et effrayantes. Son serial-killer est un personnage tout à fait dans sa veine, et il sait ajouter la petite touche de fantastique qu'il faut pour qu'on plonge derechef dans l'intrigue et qu'on s'attende à tout (la porte qui s'ouvre toute seule). Après, on se retrouve en compagnie d'un détective qui enquête sur la disparition d'une famille, plusieurs années en arrière, disparition non-élucidée. Ses recherches l'orientent peu à peu vers son voisin, un gusse aussi pathétique qu'effrayant, mystérieux et ridicule à la fois. La sphère familiale va alors se mêler habilement à l'enquête. Pendant une moitié du film, on est à peu près dans le réalisme d'une investigation classique, puis, en plein milieu, le film éclate façon étincelles pour nous emmener subitement vers des domaines beaucoup plus barrés. Avec comme personnage central ce voisin, monstre froid, clownesque, qui, avec l'aide de sa "fille", de sacs d'aspirateurs (!) et de seringues, parvient à envoûter tout son monde. C'est dans l'enfer que va plonger notre bon détective, dans une succession de scènes souvent anodines mais qui, sous la magie de la mise en scène, deviennent immédiatement inquiétantes : la promenade du chien, un repas ou un voyage en bus, se transforment en petits moments d'horreur. La faute à ces plans qui s'attardent souvent sur le vide, à cette fixité de la mise en scène, à ce jeu légèrement faux des personnages, à la façon assez ineffable de filmer. Un léger décadrage sur le couple suffit à déclencher des tonnes de question, la direction des figurants (dans les scènes à la fac) suffit à instaurer le malaise.
Il y a quelques scènes-choc dans le film, comme ces cadavres enfermés dans des sacs transparents, ou comme ces rencontres glaciales entre le voisin et la femme du héros. KK a tout son temps, et en profite pour faire monter la sauce par toutes petites touches, ne lâchant la bride que pour faire le clown le plus souvent (ce merveilleux mélange entre horreur et ridicule dans la scène de la mort de la mère). Mais c'est vrai que, à force de nous faire patienter, il est obligé de produire pas mal de scènes inutiles, un peu ennuyeuses. De plus, il s'enferme dans un système d'ellipses et de surenchère dans le torve qui fait perdre le fil de l'intrigue dans le dernier tiers. On a du coup un peu la même impression qu'avec Kitano et ses polars gore : Kuro s'est senti obligé de montrer qu'il savait encore réaliser des films noirs et de genre, la preuve est éclatante, mais sent un peu la redite, le savoir-faire facile. Ce film n'atteint pas la profondeur de ses glorieux aînés, et la mise en scène, même brillante, même maîtrisée à la perfection, est une simple répétition de ce que le gars fait depuis des années. Un immense plaisir de divertissement, oui, et la preuve irréfutable que Kurosawa est le plus grand ; mais un retour à ses anciennes amours qui sent un peu l'obligation de manger.