L'effet Aquatique de Solveig Anspach - 2016
Une charmante échappée de tout ce qui nous rattache à notre bon vieux monde logique, voilà ce que propose L'Effet Aquatique, un film franchement barré, qui semble aussi en apesanteur que ses héros pris dans le grand bain de la piscine de Montreuil. Très difficile de dire ce qui rend le film attachant et délicatement sensible : la douceur d'un décalage, une façon de pousser un peu trop loin l'absurdité des choses, une manière fine et à la limite du faux de diriger les comédiens, un regard original et tendre sur le monde. Pas grand-chose finalement ; mais c'est ce qui rend le film unique, ne le rattachant à aucun repère, en roue libre tout en gardant un cap plein d'assurance (une fausse perspective qui vrille les choses). La modestie de la chose empêche de dire que c'est un grand film, ni même un bon film, mais le fait est que cette poésie discrète reste en tête, malgré les maladresses.
C'est l'histoire d'un gars qui va au bout de sa passion, romantiquement. Samir tombe amoureux fou d'Agathe, maîre-nageuse frondeuse et un peu paumée. Il va d'abord, joli jeu de mensonges pas très assumé, faire croire qu'il veut prendre des cours de natation, alors qu'il sait parfaitement nager. Puis la belle ayant découvert le subterfuge, il va la suivre jusqu'en Islande, où a lieu un congrès de maîtres-nageurs absurde, s'offrant un voyage dépaysant et émerveillé, entièrement concentré sur sa tâche : séduire Agathe. Le film avance doucement, de petits gags en situations drolatiques pas toujours bien collés ensemble, assumant une maladresse, un amateurisme, un côté "mal fait" qui font chaud au coeur. La première partie à Montreuil déploie un réseau de personnages à la Tati, caissier à l'accent belge, matamore ressemblant à Patrick Topaloff, nymphomane chaude-bouillante. C'est tout un univers de prolos du quotidien, simplement regardés avec la vrille nécessaire pour les rendre attachants. Samir lui-même, grâce au jeu façon Pierre Richard déréalisé de Samir Guesmi, est un très joli personnage, poussé par son amour et en même temps terrorisé par le monde. On a droit à quelques décrochages assez marrants, comme cet interrogatoire façon KGB d'un employé qui a fauté à la piscine, et on se marre doucement à la vision de ce monde qu'on ne reconnaît pas tout en le reconnaissant. Anspach parvient à trouver de la poésie dans un pédiluve ou dans un bonnet de bain, et arrive à imposer une mise en scène qui sait prendre le temps, qui sait ménager de vrais moments forts au sein d'un film qui s'efface volontairement (les scènes aquatiques). Elle a trouvé dans le décor de la piscine un cocon idéal pour faire mûrir doucement cet amour.
Quand le film part en Islande, on se dit qu'on passe à la vitesse supérieure, et qu'Anspach a enfin découvert le pays absurde qui sied à son scénario. C'est plus hésitant, certes, on tique un peu devant des scènes un poil inutiles (l'histoire du fils frondeur). Mais il y a là encore, dans cet univers totalement étranger et déstabilisant, de vrais instants de beauté discrète. Beaucoup rigolé par exemple au discours idiot de Samir sur le conflit israelo-palestinien (le gars se fait passer pour un maître-nageur palestinien) qui débouche sur une admiration de tous, énervante et titillante pour Agathe ; ou cette sorte de démocratie absurde consistant en une sorte de garde alternée du pouvoir entre deux élus. L'islande devient le pays révélateur de la profondeur des personnages, et bien entendu, la comédie de remariage se terminera bien. Très sincère, ne cédant rien à la puissance de son imaginaire, confiante dans l'univers gentiment décalé qu'elle a créé, Anspach joue avec ses personnages et ses sentiments un peu à la va-comme-je-te-pousse, enchaînant les moments de grâce et les passages moins inspirés. En tout cas elle finit par vous faire entrer de force, et sans en avoir l'air, dans son monde et par vous faire craquer pour ces petits êtres quotidiens et inédits. Un tout petit petit film qui ne se la joue pas grand, c'est beau à voir aussi.