The Assassin (Nie yin niang) (2016) de Hou Hsiao-Hsien
Est-ce donc le chef-d'oeuvre ou la déception de l'année ? Ni l'un ni l'autre, mon capitaine, car sa sortie est prévue en France en 2016... Dans une version remontée ? Car voilà, c'est un peu le problème de la chose : la structure narrative est tellement lâche, percée d'ellipse, qu'on a parfois bien de la peine à comprendre tous les tenants et les aboutissants du bazar. L'histoire sur le papier semblait pourtant extrêmement simple (une jeune femme, trained to kill, revient dans sa province natale avec une mission : tuer le gouverneur, son propre cousin qu'elle devait épouser plus jeune) mais les intrigues parallèles, les personnages qui soudainement se greffent sur la trame principale, nous font malheureusement rapidement décrocher : comment avoir de l'empathie ou de la haine pour tel ou tel personnage quand on ne sait même pas qui il est, ce qu’il veut (je coupe court directement à toute intervention de Gols : "Mais on s'en fout du scénario !!!" ; mouais, un minimum quand même, sinon c'est un peu comme lire un livre dans le désordre : c'est jouable mais un peu lassant). A force, qui plus est, de gommer tout aspect psychologisant, d'assister au jeu absolument désincarné des acteurs (HHH, le maître des marionnettes ?), on regarde la chose comme un sublime livre d'images sans se sentir une once concerné par ce qui se déroule à 0,12 cm/h sous nos yeux - oui, HHH, et c'est en encore plus vrai depuis qu'il 168 ans, est un cinéaste ultra-contemplatif. C'est trrrrrrrès beau, trrrrrrrrrrès coloré mais finalement terriblement glaçant.
Alors attention, je ne dis pas que la chose est sans intérêt et que cette version HHHisée du wu xia pan doit aller direct dans les oubliettes. J'ai pour ma part particulièrement apprécié cette façon de filmer derrière les tentures (HHH est le spécialiste de l'utilisation de la tenture) alors même qu'on tourne autour des secrets d'alcôves du pouvoir, cette manière lapidaire de tourner les scènes d'action (schla, schla, schla, un souffle et nous voilà rendu - l'héroïne s'en repart déjà chez elle, victorieuse, sans même qu'il y ait effusion de sang : c'est propre et net - et classe), cette volonté de faire un cinéma de l'ultra-zénitude (avec le risque de tirer parfois vers la carte postale même si cette nature respire, s'anime) en allant tourner dans les derniers mètres carré non pollués de Chine, ce contre-pied inattendu par rapport au genre comme si HHH n'en gardait que la plus pure essence... Oui, on peut aussi s'extasier sur les costumes, le maquillage, les ptites bougies, le jeu avec les fumigènes mais je n'ai jamais été fan de Laurent Boutonnat, je ne vais pas commencer (c'est un peu un coup bas, j'admets, mais ce cinéma est parfois si précieux, si affecté, qu'on aurait presque envie d'en rire ; je préférais, disons-le, de loin, les premiers films de HHH sur son enfance). En un mot, plaisir absolu des yeux, frustration terrible du coeur (votre cerveau, quant à lui, parviendra à recoller deux trois morceaux qui vous avaient échappé lors de la seconde vision). De l'art cinématographique pour l'art ? C'est un concept qui a ses adeptes mais aussi ses détracteurs (des bobines qui tournent parfois un peu à vide... on s'en lasse). Un scénar au gruyère ? Simple volonté de HHH qui brouille volontiers les pistes (pour vendre deux tickets, le bougre ?) ou simple maladresse à gérer un fil narratif ? (tous les spectateurs ne connaissant pas par coeur la légende se cachant derrière l'histoire). Me voilà un peu écartelé : des moments de grâce évidents mais un ensemble un brin fastidieux qui me laisse un peu pantois (d'autant que la morale finale est simple comme bonjour, en parfait écho avec la séquence d'ouverture : la boucle est magiquement bouclée... mais pourquoi demeure alors cette impression qu'il y a autant de nœuds inutiles dans les fils de la pelote ?). Le mystère HHH reste entier, certes, mais on aurait tellement voulu retomber fou amoureux de Shu Qi, sans réserves… (Shang - 13/10/15)
C'est sûr que HHH ne donne pas beaucoup d'indices quant à son histoire, et qu'il pratique l'ellipse avec un poil trop de facilité. L'histoire, qui se suit quand même, hein, faut pas charrier, est pleine de trous, et je dirais même que HHH privilégie les moments "entre", ceux où il ne se passe rien, à ceux d'action ou d'évènements. Ça donne un film étrange, qui doit plus à la poésie (au haïku, notamment) qu'au film de combat, qui préfère s'attarder sur un mouvement dans un arbre, sur le bruit des sabres ou sur un personnage tourmenté et immobile que sur les grands évènements de cette histoire. Un peu comme si Bresson avait réalisé Tigre et Dragon, quoi. Lenteur, détails, ampleur des gestes, tout y est pour faire un film parfaitement chiant...
Sauf que le gars, effectivement, est non seulement pas manchot pour pondre des images magnifiques, mais en plus s'avère le meilleur pour transformer la pellicule en toile de maître. Chaque plan de ce film est à tomber, et ma foi, si ça tombe effectivement dans l'art pour l'art, les yeux sont tellement comblés qu'on est presque en droit de s'en satisfaire. Avez-vous déjà souvenir d'une perfection de cadre, d'une utilisation de la nature, d'une science pour placer les acteurs dans le champ, d'une mesure du timing, équivalentes à ce cadre sur la fin, où la nonne maléfique attend sa vassale, juchée sur une colline, la brume montant lentement de la vallée pour envahir l'écran ? Ou pouvez-vous citer un autre film pratiquant une telle épure dans les combats, ceux-ci réduits à presque rien, un geste, un souffle, un son ? HHH gomme au maximum, ne gardant de chaque épisode que la quintessence, transformant son film d'aventures en manifeste artistique, en travail sur le vide, sur ce qu'on peut enlever d'une scène d'action pour qu'elle reste une scène d'action. Malgré le jeu très effacé de son héroïne, ses tourments explosent à l'écran, comme ceux des autres protagonistes (Chang Chen est parfait), que la caméra scrute dans les moindres détails. Comme dans la poésie du pays, la nature est un personnage important de la chose : la scène centrale dans la forêt est filmée au milieu des arbres, avec distance, et ceux-ci sont aussi importants que les chorégraphies au sabre. Ce style n'exclut jamais le spectateur, le film est étrangement sentimental et habité, comme dans ces pièces de nõ où les codes sont tellement nombreux qu'on finit par les transcender, par trouver derrière tout le décorum une émotion d'autant plus forte. Bref, pour une fois, mes respects les plus bas vers une oeuvre qui met l'esthétique au premier plan et sacrifie quelque peu, c'est vrai, la clarté de l'intrigue. M'en suis toujours un peu foutu, des scénarios, faut dire... (Gols - 01/12/16)