Au bout de la Nuit (Something Wild) (1961) de Jack Garfein
Second et dernier film de Jack Garfein (on ne se lance plus dans des odyssées irréalisables) qui engage sa compagne, la blonde et plantureuse Carroll Baker, dans ce film où tout part d'un viol... La pauvre Carroll, encore étudiante, va en effet se faire agresser, un soir, en rentrant chez elle ; Garfein est à la pudeur ce que Noé est à l'arche et ne montre que "l'essentiel" - un plaquage au sol, le médaillon en forme de croix qui tombe à terre (il y a personne là-haut, il y a personne), la douleur à se relever après l'acte. Il reste sur le corps de la donzelle plusieurs stigmates et dans son âme, on sent que cela a fait l'effet d'une bombe atomique. Elle découpe en petits morceaux les habits de cette soirée infernale, tente dès le lendemain de retourner à l'école, se retrouve bousculée dans le métro, en ressort, s'évanouit... Oui, les dommages psychologiques n'ont pas fini de se faire ressentir.
Mais notre jeune femme, plutôt que de rester prostrée dans la douleur, va essayer de continuer son petit bonhomme de chemin, coûte que coûte... Après cet événement des plus traumatisants, elle rompt avec ses parents, trouve un appart glauque (loué par Desproges jeune) et un petit boulot. Changer d'air, tenter de prendre un nouveau départ, enfin, au moins essayer... Car la pauvre Carroll continue de ne pas aller au mieux : elle ne supporte aucun contact physique venant même de ses collègues femmes, qui forcément se moquent d'elle, la briment et notre Carroll d'être à deux doigts de sauter d'un pont... Jusqu'à ce que son sauveur arrive... ou son prochain bourreau - les hommes restant des animaux indécrottables...
Le film prend en effet un tour assez surprenant, notre pauvre héroïne après avoir subi les pires sévices sexuels se retrouvant enfermée dans l'antre d'un type pas méchant au premier abord, voire plutôt sincère (« vous êtes ma dernière chance ») mais également un peu starbé (on n’enferme pas les gens sans leur demander leur avis, quand même) pour ne pas dire éventuellement dangereux (dès qu'il picole... mouais, un couillon de mâle quoi...). On l'aura compris, la Carroll semble attirer les emmerdes comme les phares des voitures les papillons et l'on se demande comment la pauvre parvient à tenir le choc... Elle aura droit elle aussi à une ultime chance... qu'elle décidera de saisir en opérant un choix plutôt inattendu... Comme si deux faiblesses, deux blessés de la life, une fois ensemble, pouvaient former un roc. Le scénario possède son lot de surprise et sait surtout faire la place belle à de grandes séquences sans dialogues (les errances de Carroll dans les rues de New York surchauffées) simplement portées par la musique symphonique de Aaron Copland. Le noir et blanc est tout aussi somptueux pour filmer ce visage si lisse de Miss Baker en proie au mal, aux mâles. On ne peut pas dire que le déroulement l'histoire soit particulièrement inspiré par les thèses féministes (...) mais tout ce que l'on voit c'est cette capacité chez l'héroïne de se reconstruire "de l'intérieur" et d'éprouver de l'empathie pour ceux qui, comme elle, sont des laissés pour compte de cette société. Même si l'on pourrait discuter des heures sa décision finale, elle semble avoir pesé sa décision, librement, à l'image de cette caméra qui sait toujours rester à distance de ce personnage comme pour ne jamais chercher à le juger. Une oeuvre relativement peu connue (à ma connaissance tout du moins) qui va bénéficier d'une sortie auprès de nos maîtres, Criterion, une opportunité pour découvrir un film qui, dans la forme, se révèle absolument remarquable et qui, dans le fond, sort indéniablement des sentiers battus.