Heart of a Dog (2015) de Laurie Anderson
Voilà ce qu'on pourrait être en droit d'appeler "un poème visuel animalier" ou encore "un poème filmique sur l'impalpable" - je crains d'avoir déjà perdu nos deux lecteurs. Laurie Anderson est une artiste touche-à-tout (musicienne etc, ai-je envie de dire) que l'on pourrait également présenter (pour le lecteur plus versé dans le people) comme l'ultime femme de Lou Reed (le film se clôt d'ailleurs sur le sublimissime Turning time around et rien que pour cela, cela mérite d'aller jusqu'au bout). Je vous vois venir de loin, vous êtes déjà en train de vous dire que cette œuvre s'annonce chiante comme la pluie. Pas que, soulignerais-je en introduction, bien que pluie il y ait, et pas que des ondées - rendant souvent l'image flou et propice à l'immersion dans le pays des songes modianesques. Heart of a dog est à la fois un hommage enamouré au chien de la Laurie (musicien également, croyez-le ou non, aveugle sur ces vieux jours, et enterré) mais aussi une œuvre qui évoque des thématiques multiples tels que l'amour (pas seulement pour un chien...), la mort, la relation filiale, le poids des souvenirs, l'aspect flippant de notre belle société sous surveillance (avec toutes ces données informatiques soigneusement stockées), la philosophie bouddhiste et j'en passe... Autant de notions pas toujours évidentes à mettre en image, vous en conviendrez. C'est la gageure à laquelle s'attaque donc la Laurie dans ce premier long-métrage aussi atmosphérique, somptueux que déroutant (on change parfois de sujet en un clignement d'oeil, le chien (et les animaux - on aurait presque envie de dire qu'on passe du coq à l'âne ohoh) restant tout de même le principal fil rouge de cet objet expérimental ovniesque).
Anderson cite Kierkegaard, Wittgenstein (on n'est pas chez Lioret, c'est clair - oui, c'est bon, j'arrête), mêle films vidéos intimes (or, if you prefer, home footage), film d'animations, dessins, images de paysages (mentaux ?) retravaillés à la Godard, intertitres fulgurants, crée une musique d'ambiance qui caresse dans le sens du poil ou fout les pétoches (on pense parfois, sur un autre thème mais dans un genre finalement guère différent au magnifique Disneyland de Despallières) et nous embarque pendant soixante-dix minutes dans son univers mental et sentimental. Le projet est ambitieux, souvent planant (et parfois plombant... l'honnêteté foncière qui est la mienne me pousse à avouer que j'ai revu trois fois les quinze dernières minutes : une fois en dormant, en fois en la rêvant, une fois en la regardant consciemment - je n'avais rien bu ni fumé au préalable) et parvient à de nombreuses reprises (en jouant sur l'affectif) à faire dresser les poils du spectateur (aimer les chiens aidant au processus, je suis le premier à l'avouer). Bref, un voyage in the heart of dogness qui domptera aussi bien les amoureux des chiens que les personnes en manque d'expérience cinématographique originale. Laurie, Lou Reed, Lolabelle (le nom du chien) déjà tout un poème en soi.