Sous les Cerisiers en Fleurs (Sakura no Mori no Mankai no Shita) (1975) de Masahiro Shinoda
Connaissez-vous cette curieuse légende ou malédiction qui voudrait que lorsqu'on passe sous des cerisiers en fleurs on devienne fou ? On ne s'expose point à la chose puisqu'on reste dans son fauteuil à observer le ventripotent, l'ogre Tomisaburô Wakayama se coltiner à ce problème. Notre monstre bouddhique incarne avec fougue un "homme des montagnes" (ou homme des cavernes si vous préférez, vu la bestialité du gars) qui va enlever une noble nippone de passage dans sa contrée (et sabrer son mari et les accompagnateurs). Il la ramène dans sa cabane en haut sur la colline et lui présente sa demi-douzaine d'épouses au look peu ragoutant. La noble, qui est bien décidée à prendre les choses en main (ok pour coucher avec ce barbare mais c'est moi qui porte la culotte) lui demande d'exécuter sur le champ toutes ces radasses. Il hésite, lui dis "attends quand même" puis s'exécute comme fatigué d'avoir à discutailler... On se dit que ce joyeux petit couple va vivre dans la joie et la bonne humeur... Notre amie noble, vite lassée de la cambrousse et de la chasse, va demander à Tomisaburô de s'installer en ville et de lui ramener (il faut bien qu'elle s'occupe, cette pauvre femme au foyer) des têtes (puisqu'il est doué au sabre, autant partir sur ses acquis) pour qu'elle puisse s'amuser chez elle avec ce terrible théâtre macabre... Elle n’a de cesse d’être exigeante sur « l’expression » de ces tronche coupée : elle épuise ce pauvre Tomisaburô qui en voit des vertes et des pas mûres pour la satisfaire. Ce dernier, toutefois, toujours prêt, l’idiot, à vouloir l’épater va tenter d'affronter la fameuse malédiction des cerisiers. Ça fleure bon la fin tragique.
Shinoda est un maître es cadre et est capable de filmer quelques bien belles séquences qui ne manquent ni de souffle ni de tension (la chasse aux daims (ou aux biches...) au début du film avec un Wakayama impressionnant au 100 mètres ou encore cette magnifique scène, lors d'une décapitation (hors-champ), qui repeint superbement en rouge le visage de Tomisaburô). On apprécie la perfidie extrême de cette femme (sensuelle au besoin) qui mène son Wakayama par le bout du sabre ainsi que l'air béta et perdue de notre héros aussi couillon devant ses demandes que lorsqu'il doit sortir en ville (ce n'est jamais qu’un homme des montagnes, une vraie brutasse qui manie le sabre avec art, il faut faire des choix dans la vie). On apprécie, aussi, forcément ces scènes entre poésie pure et folie dure avec ces milliards de fleurs de cerisiers qui volent dans les airs et rendent berdins ceux qui s'y aventurent (la scène avec la troupe de bonzes et le final notamment...). Avouons tout de même que même si l'on opine globalement sur le fond du film (la bestiasse complète qui se retrouve sous la domination de ce petit bout de femme blanchie à la craie), on reste parfois un peu déçu par son petit côté parfois répétitif. Le film de Shinoda, au-delà de deux-trois petites scènes saignantes en tous points, ne surprend guère et peine à nous faire vraiment toucher du doigt tout le côté ultra macabre de la chose (ces têtes coupés, il faut le dire, sentent méchamment le latex - ça coupe un peu les effets). Plus grave, et avec tout le respect que je dois au grand Shinoda, les scènes "en ville" avec moult figurants vintage sont affreusement "tocs" : ça sent le décor, la mise en scène est plate, attendue et ce n'est malheureusement pas la première fois que je ressens cette douloureuse impression de carton-pâte, de "fausseté" dans une œuvre nippone des seventies – avec un cinéaste de renom aux manettes (ce qui n'était que très très rarement le gars dans les sixties : la faute à la couleur, au manque de moyens, à la mise en scène peu inspirée et un peu bâclée ? Que sais-je... mais ces séquences m'ont définitivement peu emballé et méchamment détaché du film au fur et à mesure). L'ensemble reste certes tout à fait agréable (grâce notamment à la performance de l'énorme Wakayama et à la noirceur totale du fond) mais je m'attendais à me sentir beaucoup plus transporté par cette histoire de pétales dérivant dans ce petit vent qui rend fou. Parfumé et spicy mais point enivrant.





