L'Hypothèse du Tableau volé (1978) de Raúl Ruiz
Sur une simple commande de l'INA à propos d'un tableau de Pierre Klossowski, Raúl Ruiz va tisser une trame complexe autour de six tableaux (et d'un tableau prétenduement volé) d'un certain Tonnerre. On imagine aisément ce qu'en aurait fait par exemple Jean-Luc Godard : ne pas parler du tableau, ne pas parler de peintre, ne pas faire d'histoire, ne pas mettre en scène de personnages, voire ne pas filmer. Ruiz, lui, sur un dispositif a priori basique et sec (un collectionneur + une voix off se lançant dans une analyse de l'oeuvre de Tonnerre), va parvenir à multiplier les "réflexions" (simple glose, liens secrets entre les tableaux, effets de miroir multiples), les mises en abyme et partir d'une oeuvre statique (un tableau donc) pour réaliser une oeuvre cinématographique presque tout autant "statique" (mise en scène de tableaux dits "vivants") mais où les mouvements de pensées sont assez jouissifs.
Point la peine, m'est avis, de faire une description de ces multiples trames que nous content le narrateur "à l'image" et la voix off (belle complémentarité des ces commentaires s'enchevétrant savamment et qui donne dès le départ l'impression d'une sorte de palimpseste en images - vous pourrez reprendre la formule, je n'ai pas les droits) ; il suffit, pour donner une petite idée de la chose, d'évoquer l'analyse subtile de chaque signe présent dans les tableaux et surtout l'intérêt de leur "reproduction", de leur mise en scène en "live" ; on pense au départ que la chose, menée sur un ton docte, risque de nous assommer, mais on se rend compte rapidement de toute la malice de Ruiz : pour expliquer les raisons pour lesquelles un tableau bénéficie de deux sources de lumière différentes, il va mettre en scène un autre tableau de la série (qui n'a a priori absolument rien à voir) pour expliquer "logiquement" les raisons de ce curieux phénomène... On sent très vite que ce qui intéresse le plus Ruiz, c'est de jouer tout autant sur les liens secrets entre les oeuvres (les différents tableaux) que sur ceux que l'on peut se plaire à faire entre les différentes formes d'art (peinture, mise en scène, jeux de lumière, cinéma, roman)... On se laisse embarquer dans cette analyse tout en chausse-trappes et l'on s'amuse à se laisser piéger par toutes ces différentes interprétations qui s'entrelacent. Ruiz a l'art de donner une troisième dimension (pour ne pas dire une quatrième avec ce mystérieux tableau volé) à ces peintures, aussi bien dans la forme (les mises en scène avec la caméra qui se balade dans le tableau pour en étudier tous les angles) que dans le fond (description basique du tableau puis mise en relation avec le récit d'un roman à clé ou encore étude de la symbolique de l'oeuvre...). Le dernier plan (avec tous les personnages des tableaux que l'on retrouve comme des figures figées dans la maison du collectionneur) donne la curieuse impression de visiter une sorte de musée imaginaire de Ruiz ou de montrer que le cinéma peut autant prétendre au "statut" d'être un art de la pause (ou la caméra comme la pensée circule avec fluidité). Abyssal de malice.