The Neon Demon de Nicolas Winding Refn - 2016
Ce qui sauvait pour l'instant les films de Winding Refn du ridicule, c'est qu'on percevait toujours sous la forme boursouflée une profondeur, un sens. Même avec toute leur prétention, Valhalla Rising et Only God forgives restaient de superbes films métaphysiques et sulfureux. On est donc d'autant plus désolé de tomber face au stupide The Neon Demon, pure forme flashy qui pour cette fois ne parle de rien, ne raconte rien et n'interroge rien que sa propre vanité. Il était dangereux de vouloir critiquer le monde superficiel de la mode en utilisant justement les méthodes de celle-ci ; et effectivement, notre NWR se vautre complaisamment dans le simple trucage numérique, oubliant complètement le propos.
Pendant une demi-heure ça tient à peu près. A l'arrache, mais ça tient : le film est tellement kitsch, tellement aux frontières du mauvais goût qu'il semble inventer une nouvelle forme de beauté. Dans un mélange intrigant entre les plus formalistes des giallo italiens et un Lynch post-mulhollandien qui aurait abusé des smarties, il construit un univers hyper urbanisé, lent, hypnotique, qui marche souvent. On grince des dents devant ces séquences esthétiques jusqu'au pompier, mais curieusement ça passe. Grâce peut-être au jeu d'acteurs, distancé et presque dé-réalisé, à l'exception de celui de la jeune héroïne de la chose : Jesse (Elle Fanning) est une petite chose de 17 ans qui arrive à L.A. pour devenir mannequin. Immédiatement, ses grâces d'oiseau, sa beauté immaculée, sa candeur d'ange, attrappent les regards des directrices de magazines et des photographes tatoués ; elle devient une véritable star, au grand dam de ses concurrentes plus normées. Refn filme cette attention comme une équipée sauvage, mais ralentit tous les rythmes, tous les dialogues, à la manière d'un Kubrick dernière manière, référence trop envahissante du film d'ailleurs. On aime au départ ces longues séquences de champ contre-champ étranges, montées sur un faux rythme assez dérangeant, où la petite Fanning s'en donne à coeur joie dans le jeu tout en petits tremblements et en regards baissés. On accepte aussi ces brusques décrochages oniriques qui viennent nous réveiller façon shoot, portés par la musique roublarde mais efficace de Cliff Martinez : ça strobocopise à mort, ça déverse du faux sang par seaux, ça éclaire par en-dessous, et on sent clairement l'inquiétude monter dans ces scènes difficilement lisibles, malaisées, très formelles. On accepte jusqu'à cette séquence à la limite entre Fanning et le photographe, solennelle jusqu'au ridicule mais encore impressionnante.
Et puis, à un moment, trop c'est trop. Dès que NWR sort ses cartes et montre son vrai visage, le film s'écroule. Il ne s'agit au final, que d'épater le bourgeois et de déployer un discours niais (la vraie beauté, les enfants, est intérieure), quitte à leurrer tout le monde en multipliant les effets visuels. Il voudrait bien rendre son film sulfureux, et invente donc un gérant de motel psychopathe (Keanu Reeves, toujours pas bon), une meilleure copine trouble, un danger insaisissable qui monte peu à peu. Mais c'est pour en arriver juste à ce qu'il voulait : du trash facile, du qui fera dire "ouaouh, le dernier Refn il est gore, y a même des cannibales, le trip, quel mec super branché". A lorgner trop évidemment vers ça, le gars tombe dans du Gaspar Noé simple, c'est-à-dire juste à l'épate. Oui, certes on en prend plein les mirettes, mais ce qui est raconté, et la façon dont c'est raconté, est complètement con. On rit nerveusement devant les tentatives horrifiques (la dernière demi-heure, le "viol au couteau"), on grimace devant les pointes de techno-rock-glamour-sexe-acid, on s'ennuie devant les autres, et on se dit que Refn vient enfin là de buter sur les limites de son cinéma. Un film bête et inepte, mais très content de lui. (Gols 12/07/16)
Alors là pas mieux, d'accord sur toute la ligne avec mon comparse, des modèles recherchés (Lynch, Kubrick, Lelouch - cherchez l'intrus) à l'effet produit (du Noé pompier et creux). Si pendant une heure on veut bien admettre que NWR n'a pour d'autres ambitions que de réaliser la plus longue pub du monde (pour du rouge à lèvres, des couteaux de cuisine, des taxidermistes ?... on se tâte, on se crée notre propre suspense en désespoir de cause), on a bien du mal à gober la seconde... On ressent d'ailleurs une véritable empathie pour l'un des personnages qui finit par vomir un oeil (on regrette d'avoir laissé le nôtre (oui, j'en ai qu'un, ça aide pour la métaphore) aussi longtemps ouvert et l'on y voit comme un clin d'oeil à notre propre indigestion d'images chics et chocs) ; voilà bien longtemps en tout cas qu’on n’avait pas assisté à un film aussi léché, tape à l’oeil et prétentieux. Ah le désir des femmes de conquérir le monde par leur beauté (déjà, on part sur une base pas super saine), ah la recherche de la beauté parfaite, pure, quasi virginale, ah ce monde du mannequinat où les femmes sont des louves pour les femmes (ou de dangereuses félines, rah, voire de véritables vampires (Ah pouvoir se repaître du sang de la nouvelle venue pour garder tout son éclat !... roh, mon Dieu, ai-je vraiment assisté à un film aussi vain ?)... Le film ne raconte rien si ce n'est l'amour de ces femmes pour leur image, pour leur miroir leur beau miroir... Le passage le plus couillon de l'histoire (si ce n'est cette poursuite de femmes avec leur couteau de cuisine à la main, j'en ris encore : putain, reviens Ginette Mathiot, ce monde devient dingue) a lieu après que la nouvelle venue a refusé de livrer son corps à la vampire en chef (maquilleuse, il doit bien y a voir une métaphore...) ; pendant que cette dernière se venge en baisant un cadavre (sacré Nicolas, jamais le dernier pour la déconne et la petite séquence glauque), notre jeunette se masturbe (on voit bien le côté un brin improductif de ses femmes autocentrées, c’est dingue quand même) : que ces femmes imbues d'elle-même, ne mangeant rien, ne baisant point, ne causant guère sont superficielles !!!! Eh oui, et NWR, de marier le fond (aussi vide que celui de la piscine) et la forme en nous livrant l'une des œuvres les plus désincarnées, plates et lisses (les petits effets d'hémoglobine étant aussi crédibles que Keanu Reeves en acteur) de l'année. Un néon sans gaz. (Shang - 08/10/16)