Le Tambour (Die Blechtrommel) (1979) de Volker Schlöndorff
Voilà un film que j'avais découvert très très jeune (bon, les enfants au lit... La deuxième ou troisième scène "érotique" dut nous être fatale) et qui possédait quelque chose d'indéniablement perturbant (les grands yeux de ce gamin, sa coupe au bol, son tambour casse-bonbon et sa voix stridente - sa voix de cristal, dans le contexte, cela fait redondant, même si...). Une bonne vieille trentaine d'années plus tard, je retrouvai dès les premières séquences ce sentiment de malaise : le pire, c'est que j'eus l'impression de n'avoir oublié quasiment aucune de ces troublantes scènes (le grand-père se cachant sous les jupes de cette paysanne et lui faisant un enfant - c'était donc dans ce film ! ; la chute dans la trappe ; ce gamin voyeur perché dans un clocher qui fait exploser toutes les vitres du quartier ; ces multiples anguilles sortant par dizaines de cette tête de cheval repêchée (une scène pleine de réalisme et évoquant une sorte de Médée mortifère...) ; ces petits jeux entre Oscar et sa jeune "nounou" dans la cabine de bains (ce fut sûrement la scène fatidique, celle de trop, celle responsable de cette vision avortée...)). Bref, visuellement, sensuellement, Schlöndorff réussit son coup : allemand, il réalise "de l'intérieur" un film troublant, entre réalisme cauchemardesque et cauchemar réaliste, une version à la fois grotesque (forcément, il y a des nains) et pleine de violence de la montée et de la chute de l'Empire nazi.
Il y a tout d'abord l'histoire de la mère d'Oscar, écartelée entre son sympathique amant polonais et son bourrin de mari bourgeois allemand : cela nous est conté au départ comme un ménage à trois plutôt bon enfant mais l'on sent rapidement poindre dans ce petit arrangement une atmosphère légèrement malsaine. La donzelle (qui rend responsable son nazi de mari de la chute d'Oscar dans la cave) se fait de moins en moins discrète pour fricoter avec le Polonais même si ses aventures en cachette semblent loin de la rendre totalement jouasse. Après l'épisode traumatisant des anguilles dans la tête de cheval (voyez-y la métaphore que vous voulez), la bougresse va tomber dans une sorte de boulimie des plus inquiétantes (manger du poisson cru à pleine gueulée, c'est jamais bon signe...). Cela la mènera jusqu'à la tombe sous les yeux, une nouvelle fois horrifiée, de notre gars Oscar. Le début d'une série de cadavres qui vont s’accumuler autour d'Oscar et de son tambour.
Une des séquences les plus déstabilisantes et les plus folles du film (celle-là, je l’avais oubliée, étrangement) est celle où, lors de ce grand rassemblement nazi, le grain de sable Oscar et son tambour vont faire basculer l'organizazion alleumandeu au cordeau dans l'onirisme pur... Avec ses quelques coups de baguettes à contretemps, l'Oscar perturbe tout un orchestre et la cérémonie de réception d'un grand chef du parti à la croix gammée va soudainement se transformer en immense terrain de valse... Comme si finalement l'ensemble de la foule était aussi manipulable qu'un bon vieux troupeau de moutons (danseurs) : le heil Hitler bras tendu se transforme en pas de danse général et c'est à n'en point douter une des scènes les plus marquantes du film ; Schlöndorff nous fait ressentir avec un art quasi fellinien tout le côté grotesque et absurde de cette mascarade destructrice – on sent d’ailleurs poindre la même causticité lorsque la famille d'Oscar, en fonction des "mouvements de l'histoire", troque le tableau de Beethoven dans le salon pour celui du Führer et vice versa...
Un mot enfin, naturlich, sur ce trublion d'Oscar qui tente de mener, à son (petit) niveau, tout son (petit) monde à la baguette et qui traverse cette histoire, tel un Candide des temps modernes, les yeux grands ouverts, en passant miraculeusement au travers des balles et des explosions. Il s'agit sans aucun doute pour lui d'une sorte de parcours initiatique qui le mène de l'observation intriguée des adultes au passage à l'acte (sexuel et "artistique", même si son don est plus révélateur de la violence de l'époque qu'inspiré, par exemple, du Parnasse...). Oscar fait son petit bonhomme de chemin dans ce monde d'adultes peu reluisants ; lorsqu'il a enfin l'occasion de jeter son dévolu sur une femme, après des années de voyeurisme et de frustrations, il passe rapidement du jeu avec sa nounou (la poudre qui pétille) à l'assaut (frétillant et coquin Oscar)... Mais la jalousie, qu'il avait précédemment observée chez les adultes, va rapidement devenir son pain quotidien (la nounou fricotant avec son pater)... Là encore, le malaise point lorsque la fameuse jeune fille tombe enceinte : est-elle en cloque du père ou du fils ? C'est au final tous ces multiples instants d'ambiguïté, ce quotidien oscillant entre sensualité brute et violence pure, qui font de cette oeuvre un objet particulièrement dérangeant (je n'ai point lu le bouquin de Grass qui apparemment vaut également le détour). Roulement de tambour : the chef d'oeuvre de Schlöndorff ? Fort possible - et une palme pas volée.
Quand Cannes, là