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24 septembre 2016

Ma Loute de Bruno Dumont - 2016

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Dumont avait bien senti qu'il m'avait enthousiasmé avec son P'tit Quinquin. Il a donc voulu réitérer l'expérience sur grand écran, convaincu qu'il est désormais un réalisateur de comédie. Et moi, je dis bravo, belle tentative de prendre à contre-pied à la fois les amoureux de son cinéma passé (dont je suis) et ceux qui avaient grincé des dents devant l'impureté et les bravades de sa série télé. Nous voilà à cheval entre un univers déjà connu chez Dumont (les gars du Nord, la lutte des classes, la présence hyper forte du paysage) et un monde entièrement nouveau, non seulement chez lui mais dans toute l'histoire du cinéma : les vedettes sont convoquées pour faire face aux amateurs, les archétypes du cinéma bourgeois affrontent les corps tordus qui ne rentrent pas dans le cadre, la marmite fait bouillir un maelström de sensations bizarres, contradictoires et pas toujours agréables, et nous voilà avec le film le plus barré, le plus malaisé, le plus sidérant de l'année.

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D'un côté donc, le retour du Quinquin : des paysans du cru, trognes impossibles, accent à couper au harpon, charisme dans les basques. Dumont les montre dans leur jus, misérables maisons de pêcheurs croulantes au milieu des marais, et s'amuse de leur image : ceux-ci sont cannibales, et leur noble métier consiste essentiellement à faire traverser aux touristes endimanchés les étendues d'eau en les portant dans leurs bras, à servir de pauvres omelettes à des bourgeois confits de suffisance, et à balancer un bon coup de rame de temps en temps sur l'un ou l'autre pour nourrir la turbulente smala. Autres personnages issus de la série : un couple de gendarmes bien entendu quasiment incompétents et pas faits pour le taff, ici un bizarre albinos taquin et un commissaire obèse, dont le burlesque est souligné par une tenue à la Dupont-Dupond ou à la Chaplin. De l'autre côté : les bourgeois, ramassis effrayant d'aristocrates de fin de race, ne sachant plus que pousser de vagues "formidâââble, épâââtant" devant les beautés du paysage ou se pâmer devant la sainte du coin, comme si l'aristocratie à la Proust venait s'échouer dans ce paysage du bout du monde, le corps cassé, le verbe caricatural, la lignée brisée par les rapports consanguins.  Autour d'eux, le spectaculaire paysage de ces plages perdues, de ces marais sans repère, de ces dunes battues par le vent, de ces ciels fordiens, cadrés avec l'élégance suprême qu'on lui connaît par Dumont, qui transforme cette lutte des classes en western maritime.

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Une fois qu'on a dit ça, on n'a rien dit. Il faut le voir pour le croire. Dumont ose tous les excès, les plus beaux (la poésie magnifique d'un gros homme qui devient un ballon, la beauté d'un amour entre deux êtres que tout sépare, la simplicité des mots d'amour) et les plus âpres, ceux-ci concentrés principalement dans la direction d'acteurs : c'est bien simple, on n'avait jamais vu Luchini, Bruni-Tedeschi et Binoche dirigés comme ça. Dans les premières minutes, ça heurte le regard et l'intelligence. Les exagérations de jeu sont carrément clownesques, mais dans un humour glaçant, pas drôle, tellement poussé qu'il en devient gênant. C'est Luchini qui sidère le plus, puisque Dumont utilise son statut de grand cabot littéraire pour le transformer en pauvre mec cassé, dont les mots raffinés ne sont plus que des petits aboiements minables. Peu à peu, on comprend : la caricature est telle que la lutte des classes, certes parfois lourdement dénoncée, devient une sorte de jeu de massacre où chacun, cannibales et consanguins, pauvres et riches, intelligents et neuneus, sont renvoyés dos à dos. Il fallait cette dose-là de charge sur les personnages pour rendre aussi fort le couple central composé donc de "Ma loute", jeune marin buté et secret, et Billie, fille ou garçon, véritable touche de beauté au milieu de la monstruosité ambiante. C'est ce duo-là qui transforme ce monde affreux en beauté, et c'est lui qui porte l'éternelle thématique de Dumont : la quête de la grâce au milieu du chaos. Le personnage de Bruni-Tedeschi l'atteint lors d'une scène impressionnante d'audace (on se croirait dans Théorème de Pasolini, là aussi référence constante du cinéma de Dumont) ; mais c'est surtout dans les scènes sublimes entre les deux enfants qu'elle se cache : Dumont les cadre en occultant le monde des humains, sur fond de ciels profonds ou de mer déchaînée, et traque en eux la petite étincelle d'humanité qui reste dans ce monde fini. Comme toujours, le paysage sert de lien symbolique à la trame : nous sommes au bout, à la fin, de quelque chose, et ce couple est la seule issue du film, son seul élément qui ne soit ni monstrueux ni burlesque.

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On peut regretter que Dumont se répète par rapport à P'tit Quinquin (en moins bien, Ma Loute est moins profond) ; on peut trouver aussi que l'attaque se fait aux boulets de canon, manque un peu de finesse ; on peut aussi être fatigué par cet esthétisme qui confine à l'image d'Epinal. Mais on ne peut que rester bouche bée devant l'intelligence et l'absence totale de concession de ce film, empreint de références (Ford et Pasolini, donc, mais aussi Fellini pour la fin, Tati pour l'humour sonore, Buñuel pour l'ensemble, sans parler des clins d'oeil à la peinture (Courbet)) et pourtant absolument seul dans son créneau, sublimement mis en scène qui plus est. Je propose que le jury de Cannes revoit sa copie et accorde la Palme à ce film ; pour moi c'est fait.  (Gols 24/05/16)


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Je le voyais arriver de loin, Ma Loute m'a laissé sur ma faim - je viens de relire avec intérêt les analyses pointus de l'ami Gols et me reconnais malheureusement un peu plus dans son dernier paragraphe que dans les trois premiers. Oui, le surjeu grotesque des acteurs est pathétique (et se devait de trancher avec le "naturel" de l'acteur amateur de l'autcochtone - c'est malheureusement moins réussi que dans P'tit Quinquin, notamment au niveau de couple de policiers un peu plus empruntés), oui la place faite au décor natuel est remarquable (même si parfois, à force de laisser la place au ciel, les acteurs sont coupés au niveau du buste : ça pique un peu les yeux), oui la chtite ou le chti Billie apporte un peu de douceur et d'humanité dans ce monde de bruts... Tout cela dénote une certaine audace de la part de Dumont, toujours prêt à tenter des paris risqués au niveau de la direction des acteurs (Binoche a quand même fini par me taper sur les nerfs...). Seulement voilà, une fois énoncée ces quelques "concepts" de base, le film peine à surprendre ; certes il y a quelques petites pointes épicées (cette sympathique petite bouffe cannibale qui donne envie de reprendre du pied), quelques petites séquences poético-catholico-onirique (de la baudruche policière à la grâce (toute aussi creuse) bruni-tedeschienne) mais il manque un souffle, un délire, de véritables envolées - qui ne soit pas, pour le coup, que des effets spéciaux.

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Toujours eu un peu trop l'impression d'écouter "moteur" et "coupez" au début et à la fin de chaque séquence comme si les ficelles narratives ou les choix de la mise en scène (très soignée et pensée) prenaient le pas sur l'émotion, la "véracité" (un comble chez Dumont) dégagée par les acteurs (notamment du côté des locaux). Du coup, on sourit sympathiquement devant ce cinéma un brin osé et décalé (c'est l'apéri, c'est l'apéri lance un Luchini bossu et brisé), sans pour autant plonger la tête la première dans cet univers un peu trop "factice", par trop prévisible passé les quinzes premières minutes. Du coup, on ressort un peu déçu devant cette oeuvre qui nous a guère secoué et que peu surpris.On adore tellement Dumont qu'on a du mal à lui pardonner ses films qui ne sont que bons. (Shang 24/09/16)

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Commentaires
F
Quand j'en appelais à Tavernier, je pensais à "Un dimanche à la campagne" et non à ses films "sociétaux". On peut préférer l'impressionnisme à la peinture flamande, le Val d'Oise au Pas-de-Calais mais aussi les élans du coeur et les sentiments profonds aux coups de trique, quitte à passer pour un naïf inculte.
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O
Mais dire que "L627" est daté sans argumenter, sans dire pourquoi, sans donner d'exemple, à quoi cela sert-il?..<br /> <br /> <br /> <br /> Les films sociétaux de Tavernier ne sont pas datés (L'appât, L627, celui dans l'école dans le Nord, enfin les Hauts de France), ils sont en prise directe avec leur époque. <br /> <br /> <br /> <br /> De plus, il se fait que les problématiques de l'appât et de L627 sont encore à l'ordre du jour ...
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C
En ce qui me concerne, Tavernier peut rester couché.
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F
Les films de Dumont, aussi beaux soient-ils, ne sont que des brouillons. Dès qu'on approche la grâce, un coup de rame et c'est mort. S'il n'y avait que des inconnus, des ch'ti tels qu'ils sont et à qui on peut tout pardonner, passe encore. Mais pour avoir un prix à Cannes, il fallait des acteurs de la gentry. Exigence du producteur qui voulait faire un coup en diffusant le film partout au début du festival ? En tous cas, Dumont fait surjouer des gens qu'ils détestent et le tout ne dépasse pas une plage de l'Artois. Il reste que c'est le seul auteur français en exercice... Oh, Tavernier, réveille-toi, rajeunis pour un nouveau dimanche à la campagne !
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L
Pour n'être pas un catalogue de clins d’œil (ici de cocards), un film ne relève pas de l'épicerie !
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