Le Fort de la dernière chance (The Guns of Fort Petticoat) de George Marshall - 1957
Le gars Shang a déjà dit qu'il aimait bien le discret George Mashall, et je m'empresse de le rejoindre dans ce sentiment puisque vous me voyez tout épaté par ce western très modeste et pourtant formidable. C'est une sorte de miracle de narration dans le scénario, ce qui compense amplement une mise en scène un tout petit peu platounette, ou disons classique si on veut. Sur 75 minutes, les auteurs arrivent à faire entrer une multitude de détails attachants pour rendre les personnages riches, les situations palpitantes et le contexte historique fort.
Ça commence par un héros tout en déchirement intérieur : il est sudiste, mais son anti-racisme le fait rejoindre le camp yankee, ce qui lui vaut la haine de ses anciens amis et voisins, et l'abandon de sa gorette qui s'empresse d'épouser le paysan du coin plutôt que d'attendre le retour de la guerre de ce traître à sa région. Quand le petit gars apprend que les Sioux s'apprêtent à passer par sa ville natale et donc à scalper du Sudiste, il revient pourtant défendre la veuve et la veuve aussi (les hommes sont tous au front, et ne croient pas du tout à l'invasion indienne annoncée). D'abord repoussé, il se fait vite sa place et entraîne au combat toutes les femmes de la ville. Peu à peu, le bâtiment dans lequel se retranche la petite troupe dans l'attente de l'ennemi peau-rouge se transforme en véritable étuve sexuelle, entre l'ex toujours accro, la rebelle qui ne veut avouer son attirance, la dévergondée du coin à la langue verte, et toutes les autres guerrières fascinées par la droiture, l'abnégation et la dextérité au fusil de ce Nordiste-Sudiste à la jambe galbée. On aura alors droit à une sorte de Rio Bravo au féminin, plein jusqu'au bord de sous-intrigues captivantes (un trio de malfrats qui s'associent avec les Indiens, un gars jaloux qui donne du fil à retordre à notre héros, une bigote anti-militariste qui menace de tout faire foirer, un gamin qui provoque son rival en duel...), le tout dans l'attente toute buzzatienne de ces fameux sauvages. Quand ils arriveront, la bataille sera épique et tragique, ça tombera comme à Gravelotte, et on terminera bouche bée.
C'est l'attention toute en tendresse que Marshall accorde à chacun de ses personnages qui force le respect. Chacune de ces femmes est attendrissante, a son petit truc à défendre, sa scène attachante. Le film nous fait patiemment aimer chacune, pour mieux, dans le dernier tiers, nous mettre face à la tristesse de les voir tomber (ou pas) sous les coups de tomahawk. Marshall aime de toute évidence filmer cette attente chargée d'érotisme, où notre homme convoité (le très bon Audie Murphy, physique et voix juvénile, mais une espèce de dégaine toute virile, déséquilibre qui le rend très humain) est sans cesse exposé aux regards de ces dames, aux jalousies, aux trahisons. Les femmes sont pleines de courage et de drôlerie à la fois (le film ne refuse pas un certain humour), et on assiste à la construction d'une micro-société féminine très joliment décrite. Comme en plus les couleurs sont très belles et que Marshall est bien présent quand il faut envoyer du bois (les scènes d'assaut, très lisibles), comme cet univers bon-enfant est compensé par une brutalité étonnante dans certaines scènes (les trois brigands n'y vont pas avec le dos de la cuillère niveau exécutions sommaires), on se dit qu'on est là devant un excellent western, original et émouvant, spectaculaire et fin. Petticoat, mais grand talent.