LIVRE : Toutes les Femmes sont des Aliens d'Olivia Rosenthal - 2016
Une lecture matricielle de la saga Alien, une lecture conjugale des Oiseaux, et une lecture misanthrope du Livre de la Jungle : la cinéphilie originale de Rosenthal fait une nouvelle fois des étincelles dans cet essai poétique et barré, écrit à 100 à l'heure, et qui vous laisse assez pantois au bout du compte. Ça commence donc avec Alien, que Rosenthal raconte d'un seul souffle, avec un emploi très rythmé des virgules et un usage très modéré des points. Sigourney-Ripley y apparaît comme l'archétype de la mère, une sorte d'enveloppe fine entre le danger qui vient de l'extérieur (le monstre) et celui qu'elle développe à l'intérieur (son premier enfant est mort, elle le retrouve au deuxième épisode, le reperd et développe du coup un sens de la maternité assez torve, à la fois fille et mère de l'alien). Le féminisme n'est jamais très loin avec Rosenthal, et cette étrangeté virile, cet "ailleurs" interprété par Weaver, est décrit comme une menace envers l'entité masculine. Avec des concepts aussi sérieux, on pourrait s'attendre à un texte ardu et austère ; or, Rosenthal parvient, grâce au rythme, grâce à l'humour qui se dégage de tout ça, grâce à l'excellente distance qu'elle entretient avec les films et avec son lecteur, grâce à cette familiarité qu'elle sait déveloper dans l'usage de mots simples, directs, répétitifs, à rendre tout ça extraordinairement fluide et "fun". La dame a l'oeil sur les détails, du chat embarqué par Ripley dans son vaisseau à la présence du clone du quatrième épisode (Winona Ryder), et sait tirer tout le suc de ces détails. Voilà ce qu'on appelle de la vraie cinéphilie : le texte est un hommage à ces heures passées à scruter des films pour qu'ils correspondent à notre théorie initiale, Shang sait de quoi je parle, ce blog est construit là-dessus. Pour résumer, la théorie est fumeuse, mais la lecture parfaite.
Les deux autres textes sont assez réussis aussi : d'abord une lecture un peu déçue des Oiseaux, déception qui tient uniquement au fait que Rosenthal était persuadée qu'il était interprété par James Stewart et Grace Kelly. Elle fabrique cette surprise et cette déception en un texte très satirique sur le mariage, le petit couple à la con formé par Tippi Hedren et Rod Taylor, faisant de la menace aviaire un symbole de ce bonheur conjugal impossible et absurde. Ensuite une vision de deux Walt Disney (Bambi et Le Livre de la Jungle) à travers le thème de l'abandon, et de la domination masculine. Bambi et Mowgli deviennent des symboles de la bien-pensance, mais aussi deux personnages annonciateurs d'un brouillages de repères dans la sexualité contemporaine : Baloo est asexué, la mort de la mère de Bambi est oubliée en deux plans, Mowgli est abandonné trois fois puis abandonne lui-même son clan pour s'en venir traquer la gorette chez les humains... On n'est pas loin du mariage pour tous. Rosenthal a vraiment trouvé le ton juste pour parler de cinéma : ses textes sont drôles, excitants pour la pensée et très joliment "slamés".