LIVRE : Celle que vous croyez de Camille Laurens - 2016
Intéressant de lire en peu de temps Histoire de la Violence d'Edouard Louis et Celle que vous croyez de Camille Laurens : à partir de la même volonté d'enchâsser des discours directs l'un dans l'autre, de fabriquer une sorte de labyrinthe sémantique en cumulant les récits, on se rend compte combien l'un est virtuose et en pleine possession de ses moyens, et l'autre enferrée dans une tradition française poussiéreuse. Le roman de Laurens n'est pas honteux, et même il est vraiment intéressant dans ce qu'il raconte ; mais du point de vue littéraire, c'est un petit objet très prétentieux et sans aucune force. Une fois de plus, l'auto-fiction, quand elle est mal gérée, n'aboutit qu'à un petit jet qui porte environ à 1m50 de son auteur ; petit, tout petit.
Ça raconte une sorte d'envoûtement sur Facebook. La narratrice s'invente un avatar virtuel pour tenter de retrouver un ex, et s'enferre dans une histoire sexuello-sentimentalo-virtuelle. Une sorte d'histoire d'amour impossible puisque la rencontre concrète serait l'aveu du mensonge, voyez ? Cette histoire quasi-policière est assez bien menée, reconnaissons-le. On suit avec intérêt les aventures de cette femme qui s'enferre peu à peu dans le mensonge, se précipite vers les impasses et le dénouement malheureux. Laurens en fait une sorte de fable sur le virtuel, et notamment sur le vieillissement, le désir sexuel et l'attirance amoureuse, c'est assez bien vu. On sent toute la part personnelle qu'elle met là-dedans, dans un autoportrait assez masochiste en femme vieillissante et encore désirante. Bon, cette première partie se suit avec simplicité, l'écriture est bien dosée, sans esbroufe, le sujet intéressant et moderne, on aime.
C'est après que ça se gâte. Après avoir bouclé son histoire sur une attendue tragédie, Laurens tente l'acrobatie littéraire : reprendre cette histoire, la faire raconter par un autre, et lui donner d'autres prolongations, d'autres fins, etc. Donc, changement de registre, changement de ton, changement de point de vue, et rebelote. Et là, c'est le drame : le roman piétine allègrement sa simplicité du début pour se livrer à une sorte de théorie littéraire très mal tenue. On finit très vite par se foutre complètement de cette histoire interminable qui ne cesse de se réinventer, de repousser son issue, au gré des points de vue qui s'expriment (un psy, un des protagonistes masculins de l'histoire, Laurens elle-même), ou des formes choisies (discours direct, interprétation littéraire, lettre, etc.) Le danger du "tout ça pour ça" guette, et on met même les deux pieds dedans dans la deuxième moitié du livre, qui se complait dans l'explication psychologique simpliste (l'éternel donnage de leçons sur les différences entre les sexes blabla), les jeux de mots puérils et inconsistants et la contemplation émerveillée de son appendice ombilical. Laurens voudrait écrire LE roman sur Facebook, l'identité, le brouillage des identités et des langues, etc., mais elle n'aboutit qu'à un énième roman à petits bras. Même pas mauvais, quelconque.