L'Aquarium et la Nation de Jean-Marie Straub - 2015
Riez, riez, commentateurs ironiques : mon odyssée straubienne continuera même sous les sarcasmes, rien n'arrêtera la marche glorieuse de la straubic-attitude. Bien, donc, L'Aquarium et la Nation... Ça commence par 12 minutes de plan fixe sur un aquarium à l'intérieur duquel s'ébattent quelques jolis poissons ; d'abord muet, puis accompagné de musique, ce plan est suivi de la lecture à la table d'un texte de Malraux par un pépère placé devant une baie vitrée (voyez le lien ?), plan lui-même suivi d'un extrait de La Marseillaise de Renoir. Bien. Au départ on tique un peu devant cette nouvelle preuve de l'intransigence ardue du gars Jean-Marie, en se disant que franchement, son plan sur la poiscaille, il aurait pu le couper à 10 minutes, voire à 5, on n'aurait rien trouvé à y redire. Mais que voulez-vous, à la longue, au fur et à mesure de la lecture qui suit, on finit par s'intéresser à la chose, voire par être curieusement touché. Le texte traite de la nature intrinsèque de l'Humanité : qu'est-ce qui définit un Homme, à travers les pays, à travers l'Histoire ? Après un long détour vers les peuplades des Origines, leur sens du Sacré, leur posture face à la naissance et à la mort, Malraux conclut en évoquant la notion de nation, que l'homme est incapable d'apercevoir tout comme le poisson ne parvient pas à concevoir son aquarium. En cette fin d'année 2015 où la nation et la notion de communauté ont été largement ébréchées à grands coups de kalashnikovs, le questionnement de Straub, et celui de Malraux (curieux points de correspondance par-dessus les 60 ans qi séparent les deux oeuvres) sont sains et viables. C'est dans le plus simple appareil que notre Straub filme tout ça, avec ses deux plans fixes placés en miroir. Seules les variations de lumière sur le lecteur, le défilé des pages photocopiées ou les petites hésitations de l'acteur témoignent de ce temps qui passe ; pour le reste, on est concentré sur ces mots, d'abord confus puis qui font peu à peu sens. Le film se termine sur une splendide plongée de Renoir sur la mer, une petite barque de pêcheurs et au premier plan, un révolutionnaire et un militaire du Roi qui parlent de ce que c'est que laNation : un plan lumineux, joyeux, tourné vers l'avenir, qui témoigne de la jeunesse d'esprit de Straub. L'Aquarium et la Nation est sûrement un de ses films les plus optimistes et apaisés, un de ses plus simples aussi : riez, commentateurs, moi, j'ai bien aimé.
Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez