Kommunisten de Jean-Marie Straub - 2014
Pas un peu feignasse, sur ce coup, le Jean-Marie ? Son nouveau long (très long) métrage (1h09) est en fait composé uniquement de 10 minutes inédites. Le reste est une suite d'extraits d'oeuvres anciennes, de La Mort d'Empedocle à Ouvriers Paysans, le tout assemblé pour voir si des fois ça pourrait pas faire sens d'une façon ou d'une autre. Bon, le fait est que si vous arrivez à rester éveillé, oui, un certain sens se dégage de cet assemblage hétéroclite qui valse avec les styles, les époques et les genres. Disons qu'il est question de résistance, de combat politique, qui justement se feraient écho à travers les pays, les langues et les époques. De l'Italie des paysans en révolte à l'Egypte des ouvriers, de l'Antiquité à Malraux, un pont est construit par Straub pour évoquer les combats politiques de toujours, la rebellion à l'ordre établi, et l'engagement, placé sous le terme de "Communisme" pour faire pratique. Du moins, c'est ce qu'on ressent ; la plupart des textes écoutables dans ce film sont bien entendu comme toujours rendus abscons par la diction impossible des acteurs, par la rigueur de la direction d'acteurs et par le très curieux agencement des sous-titres. Du coup, on ne capte pas grand-chose, une grande partie du discours échappe. Mais tout de même, on voit bien, que ce soit dans les textes très théoriques ou dans ceux beaucoup plus poétiques (Hölderlin pour le plus beau passage), que ce soit dans les grandes plages où l'on n'entend que la nature ou dans les moments musicaux, qu'il y a une cohésion entre tous ces bouts de film. Une cohésion de sens, donc, peut-être, mais aussi tout simplement une cohésion dans le fait que Straub relie sa propre cinématographie dans un seul mouvement : depuis la première séquence où il interprète en voix-off un officier allemand en plein interrogatoire jusqu'à la dernière, qui nous fait retrouver Danielle Huillet dans Noir Péché, c'est toute une carrière, une vie de cinéma, qui nous est donnée à voir.
Ce film est donc une excellente entrée dans le monde des Straub pour ceux qui ne le connaissent pas. On y croise toutes les grandes formes esthétiques, toute la grammaire des bougres : les plans fixes infinis sur des acteurs statufiés dans la nature, les écrans noirs interminables pour mettre en valeur la musique ou la voix, la façon de toujours placer le texte dans un univers extérieur très concret et dans une temporalité exigente, et les panoramiques sur la nature, ici savamment rangés tous dans une même séquence : 7 ou 8 panoramiques sur des paysages privés d'humains (à une seule exception, des enfants qui jouent au loin), archétypes de leur imagerie. On s'y fait bien chier aussi, avouons-le, et pour comprendre leur univers il est nécessaire d'éprouver ce sentiment-là aussi. C'est d'ailleurs étonnamment la première séquence, celle inédite, qui paraît la moins emmerdante : l'interrogatoire d'un communiste allemand par un nazi, avec un texte de Malraux d'une belle clarté, filmé avec une distanciation totale dans des costumes d'aujourd'hui et une pièce anonyme sans reconstitution historique. La simplicité même, mais cette fois avec beaucoup plus de modestie dans le choix du texte et dans le travail sur la langue que d'habitude. Dix premières minutes qui permettent d'appréhender les 60 restantes avec plus de santé, et on en a besoin : le reste du métrage sera plus ardu. Plus que jamais, Straub fabrique un machin éprouvant, plein de beautés et plein de gouffres d'ennui, surprenant et à nul autre pareil ; et encore une fois, on peut être soit ébahi par cette intransigence formelle et morale, soit assommé de sommeil. Tel que vous me voyez, je suis entre les deux.
Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez