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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
5 janvier 2016

Jauja (2015) de Lisandro Alonso

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Je me lance sur les terres d'Alonso sachant que l'homme est connu pour son cinéma un brin obtus. Je suis tout de même, dans un premier temps, fort content de voir qu'il y a des personnages avec plus de profondeur que dans un ouvrage du Nouveau Roman et, grand Dieu, que l'on peut même détecter un semblant d'histoire, une sorte de fil rouge : Viggo Mortensen part à la recherche de sa fille partie avec un soldat dans les paysages et les éclairages somptueux de la Patagonie. Esthétiquement, il faut reconnaître que l'Alonso n'est pas un manchot et que l'on est plusieurs fois sur les fesses devant ses cadres : cieux se réfléchissant dans un trou d'eau, jeu d'ombres nocturnes, coucher de soleil mirifique en fond d'écran, nuit étoilée à se damner... Franchement, picturalement, on y trouve son compte et il faudrait être un fieffé borgne pour ne pas ouvrir grands les deux yeux (je dis ça, je dis rien). Alonso évoque en introduction ce fameux territoire paradisiaque, Jauja, tant recherché par les hommes et qui fait partie de la légende : on se dit derechef que cet endroit doit se trouver là, ou dans ses environs (beaucoup plus que dans la campagne bourbonnaise pour prendre un exemple au hasard). Les errances westerniques de Mortensen que l'on suit en long et en travers (Alonso n'est pas le genre de cinéaste à avoir appris le mot "cut" à l'école - tant qu'il y a de la batterie, le gars, il tourne - heureusement qu'il est en extérieur...) sont nonobstant loin d'être aussi ennuyeux que cela : notre homme, toujours à la recherche de l'eau - et de sa fille (il est sur la bonne piste, il reconnaîtra d’ailleurs en route le soldat de plomb qu'elle possédait) -, va même tomber sur d'horribles cadavres mis en pièce par des "Indiens locaux", des Indiens dont le chef, ancien membre de l'armée, a, tel un Kurtz, pété les plombs.

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Mortensen, mené par un chien modianesque gigantesque (une sorte de gardien du temple qui se fait également guide - de haute montagne) va finir par trouver, à l'entrée d'une grotte, une femme âgée qui semble partager quelques étranges « affinités » avec sa fille... La dernière partie de l'œuvre est un retour à l'époque contemporaine où l'on retrouve le gros toutou, le petit soldat de plomb est une jeune fille... à la recherche de son père (moins de mystère cette fois, il est simplement parti voir un match de hockey, notre époque est définitivement plus terre-à-terre...)... Difficile de se lancer effrontément dans une analyse du fond par rapport à ce véritable poème visuel ; disons simplement que l'on ressent toute la douleur de ce pauvre Mortensen dont le monde, sans sa fille, semble s'être effondré (il a du mal à garder ses nerfs quand il tombe sur le jeune soldat avec lequel sa fille s'est enfuie : il était grièvement blessé, il le sera définitivement...)... Cette errance, hors du temps, va finir semble-t-il par être récompensée - mieux vaut tard que jaujamais, comme dit le proverbe argentin) : si cette femme vieillie est bien sa fille (et si l'on analyse, en miroir, la dernière partie), on pourrait éventuellement ajouter qu'il semble bien difficile, aux yeux d’Alonso, pour un père et sa fille, d'être en phase. On n’osera guère trop s'avancer sur ce terrain analytique, en préservant plus que tout cet aspect poétique (mouais, c'est aussi plus prudent). Je vous invite à juger, pour ne pas dire jauger, Jauja par vous-même : cette aventure, magnifiquement mise en forme et loin des sentiers cinématographiques battus, possède une aura de mystère bien plaisante.   (Shang - 02/12/15)

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Eh oui, un Alonso narratif, il fallait pas rater ça ; et je me sens un peu comme mon Shang : impressionné, mais légèrement sonné. Avec pour ma part l'ajout d'un soupçon de roublardise de la part d'Alonso, dont j'ai tant aimé la simplicité d'exécution dans le passé. En brouillant à fond les pistes, on peut sur un malentendu passer pour un grand cinéaste de fond, tant mieux, mais Alonso n'est pas un grand cinéaste de fond. C'est un sublime réalisateur qui sait filmer le temps, le paysage, l'errance, comme personne, mais de là à fabriquer quelque chose de très profond, il y a un pas. Du coup, les scènes allégoriques de Jauja m'ont semblé un peu fabriquées, un peu malines, pour tout dire un peu... n'importe quoi. Le film, très clairement réalisé sous influence opiumesque ou cannabique, voudrait nous emmener aux confins d'un twist métaphysique qui n'est pas sans rappeler 2001 l'odyssée de l'espace, genre le héros qui se retrouve finalement face à lui-même par-delà les époques et les lieux ; il voudrait bien nous refaire le coup du gouffre placé en son centre (la caverne matricielle où attend la jeune fille vieillie) qu'a pu pratiquer un Lynch par exemple ; il aimerait bien nous faire réfléchir, ouvrir des portes et les laisser béantes, réaliser un film à clé. Mais on peut voir là-dedans un soupçon d'insincérité, et je pense que le gars capable d'expliquer les 20 dernières minutes du film n'est pas né, tout simplement parce que ça ne veut rien dire : c'est juste là pour l'épate, ça fonctionne bien de ce côté-là, mais c'est lourdement amené.

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On préfère mille fois à ces ratiocinations métaphysiques fatigantes la grande simplicité des cadres, l'immense talent d'Alonso pour la mise en scène et son culte de l'étrange. Regardez juste ce plan sublime sur la pampa, avec les gros phoques bizarres dans le fond : tout Alonso est là, simple, pas appuyé, doté d'une force visuelle étonnante. Idem pour ce bras noir qui, tel un serpent, vient voler un chapeau et un fusil auprès d'un cadavre, dans le silence ; ou pour ce plan final où une jeune fille s'approche de l'eau sur un ponton et où on devine un rond qui en ride la surface, comme une entrée béante mais discrète vers un autre monde. C'est dans l'immobilité des cadres, dans la longueur des plans, dans le souci du détail et de l'arrière-plan, qu'Alonso est grand, plus que dans son scénario péniblement opaque. Jauja est recommandable par son sens de la mesure hyper fragile (rhaaa cette musique isolée qui démarre sur le ciel étoilé), par sa façon de filmer un corps dans un cadre ; là on reconnaît l'auteur de Liverpool. On ne saurait trop conseiller au gars Lisandro de laisser tomber ses autres ambitions.   (Gols - 05/01/16)

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