It Follows de David Robert Mitchell - 2015
Alors là, les amis, je vous prie de vous asseoir deux minutes et de bien m'écouter : voici un excellent film d'horreur. Attendez, je répète, parce que vous n'avez pas l'air de mesurer ce que ça signifie, quand on voit à peu près tous les films d'horreur qui passent et qu'on est à chaque fois effaré devant le manque d'idées, de prononcer cette phrase : voici un EXCELLENT film d'horreur. D'HORREUR. C'est dit, et maintenant que cette affirmation fait son chemin dans vos cerveaux ébahis, développons quelque peu cet enthousiasme.
Tout est question de mise en scène dans ce faux film de zombies, qui cultive une lenteur et une précision qui font chaud au coeur. Dès la magistrale séquence d'ouverture, on devine qu'on est là face à un grand cinéaste. Avec une distance qui évoque les grands films de Van Sant, Mitchell filme une de ces petites maisons de lotissement chères au cinéma des 80's ; la porte claque, une jeune fille sort, qui a l'air terrifié, et une bande-son bourdonnante accompagne le superbe panoramique (qui sera la figure récurrente du film) qui la montre hésiter, retourner dans la maison et en ressortir avec quelques affaires ; elle fuit dans sa voiture, on la retrouve sur une plage nocturne, terrifiée et hagarde dans la lumière des phares ; plan suivant : son cadavre brisé dans tous les sens. Rien, pas d'effet, pas de monstres, pas de cris, mais une sorte d'implacabilité des choses, accentuée par cette mise en scène froide et distancée et cette musique entêtante qui créent la peur. Dès lors, le film va cultiver ce "presque rien" qui inquiète, ce quotidien légèrement tordu qui fait peur. Mitchell comprend parfaitement les outils de l'inquiétude, et il lui suffit souvent de changer une mise au point pour mettre en valeur un arrière-plan (il ne s'y passe rien, mais c'est flippant quand même, génial comme du Kiyoshi Kurosawa), de cadrer un lieu vide ou de prolonger deux secondes de trop un plan pour que la peur monte.
C'est d'ailleurs l'immobilité et le calme, le rien et le quotidien qui vont être les directions esthétiques choisies par Mitchell. Atteint de carpenterisme aigu, il a retenu les leçons d'Halloween : un tueur est beaucoup plus inquiétant quand il est 1/lent et 2/humain. On assistera donc à un défilé de fantômes apparaissant tranquillement en fond d'écran, et marchant lentement vers l'avant plan pour attraper le pauvre ado au premier plan ; la plupart du temps, le spectateur aperçoit le danger bien avant la victime, et Mitchell joue avec une finesse épatante de l'attente portée par cette lenteur : grande séquence, par exemple, que celle où un groupe d'ado discute sur la plage ; on aperçoit le fantôme tout petit derrière l'héroïne, qui s'approche tranquillement, puis on monte six ou sept contre-champs sur les autres protagonistes, d'autant plus crispants qu'ils occultent le principal : où en est le spectre dans sa progression ? Quand le cadre revient sur le couple victime-fantôme, ce dernier a avancé de quelques mètres, implacablement. C'est génial. C'est d'ailleurs dans les deux ou trois scènes où il perd cette tranquillité et où il tombe dans le fantastique pur que Mitchell est le moins convaincant : les effets spéciaux siéent peu à ce film très "naturaliste", et on leur préfère le petit artisanat à la Tourneur. Le film se situe d'ailleurs habilement dans une sorte d'entre-deux temporel et géographique : est-on dans les années 1970 (cette esthétique vintage) ou 2010 (ces tablettes modernes ou ces "followers" qui peuvent évoquer les réseaux sociaux) ? Est-on en Amérique (cette ville en friche, qu'on dirait frappée par la crise ou par un accident nucléaire) ou dans un monde fantasmé (une étrange absence d'adultes) ?
On fait vite également le lien entre le scénario et les angoisses des années Sida, pusique le "virus" fatal se transmet par voie sexuelle. Mitchell joue là aussi avec un des codes inévitables du genre : oui, c'est bien l'ado qui baise qui sera victime de la malédiction, comme dans tous les films d'horreur, mais il pourra aussi s'en libérer en baisant à son tour, ce qui est autrement plus moderne. La sexualité imprègne littéralement le film, qu'on peut lire comme la découverte par une jeune fille de ses règles, de sa féminité et de son pouvoir sexuel. Une curieuse scène fugitive montre l'héroïne regarder fixement l'intérieur de sa culotte avant d'être interrompue par un ballon qui vient frapper sa vitre, faut-il, je vous le demande, vous faire un dessin ? Mais It Follows sait également se faire étonnamment sentimental et touchant, quand on se rend compte que tout se résoud par un retour à l'enfance et aux premiers émois : la piscine déserte, symbole d'une matrice devenue dangereuse, va abriter les premières amours, les premières angoisses et le premier sang, la séquence est grande. Le film peut donc être une jolie variation intime sur le temps qui passe, le passage à l'âge adulte et les douleurs de l'apprentissage sexuel et sentimental. On est loin des crétineries habituelles. Envoyez les fanfares et les feux d'artifice, glorifiez le seigneur et JC (John Carpenter) : voilà le film de genre le plus réjouissant depuis The Descent. Amen. (Gols 28/05/15)
“Elle est très lente mais elle est pas con.”
Lorsque l’on écoute ce genre de phrase pointue dans un film d’horreur, on sent dès le départ qu’on va être dans l’allégorie, dans le symbolisme lourd. Le concept ici est tout de même assez simple : tu baises, tu expérimentes comme dirait le poète pouet-pouet la petite mort, et, en un sens, en prenant conscience de ce corps, de ton corps, c’est un peu le début de la fin… Tu auras beau chercher à t’enfuir, une sournoise bêêêête zombilique te retrouvera. Si jamais elle met la main sur toi, t’es fichu mon gars - ou ma gâte. En gros, c’est le début d’une course contre l’angoisse : tu pourras baiser pour tenter d’oublier, de refiler le truc fatal (on peut penser au Sida, ou pas), elle finira toujours par retrouver ta trace. C’est inéluctable, c’est la vie et ça fout les boules…
Sur ce principe de base (il est bon d’avoir du fond, parfois, dans ce genre de production), notre ami réalisateur tente quelques coups fumants (ou fumeux) : ainsi ce gros nuage de sang dans la piscine (lieu du premier baiser, des premières règles ?… mouais) qui effraie terriblement notre pauvre donzelle en bikini. Oui, on est dans le film d’horreur avec du sens mais avec aussi des « références » (ou des topoï comme ils disent) que plus personne ne semble dorénavant vouloir remettre en question : contexte eighties - le jeans sous toutes ses coutures (cela évite tout portable et renforce l’isolement des individus), musique jouée à l’orgue Bontempi par mon grand-frère, absence totale de parents, gonzesses, quel que soit les contextes, en petite culotte, mini-short, ou soutif - cela permet de toujours retendre l’atmosphère si jamais elle tombe. Je n’ai pas encore lu la chronique de l’ami Gols (pour ne pas trop déflorer ma vision du film) mais personnellement, je me suis quand même salement ennuyé. C’est bien gentil ces trucs qui vous foncent dessus à deux kilomètres heures et qui sont maquillés comme Enora Malagré après une grosse pluie, mais franchement, qu’est-ce que c’est répétitif et lonnnnnnnng… Si je veux bien reconnaître que la scène d’ouverture est magnifiquement mise en scène (ce 360 degrés perturbant, ce plan où la jambe de la donzelle semble s’être trompée de sens), la suite a bien du mal à nous tirer des « ah », des « oh » ou à nous faire bondir (et pourtant je suis tout seul chez moi, dans une grande maison vide, sur une île où la nuit les gens pratiquent le vaudou… ou dorment). D’ailleurs, même cette petite canaille d’héroïne, capable parfois d’offrir son corps pour en finir avec cette « malédiction » (le sexe, bouh !), finit par se ranger avec son premier amour un peu glandu - c’est limite politiquement correct (mais derrière, au fond, en déambulateur, on peut voir... suffit). I followed mollement. (Shang 29/05/15)