La Femme qui faillit être lynchée (The Woman they almost lynched) d'Allan Dwan - 1953
Un film de femmes entre elles, c'est assez rare dans le cinéma hollywoodien des 50's, encore plus dans le western, et c'est ce que réussit Allan Dwan, éternel artisan minutieux sans crânerie. Son film sera affaire de duels, et uniquement de duels : entre hommes, certes, mais aussi entre camps politiques (le contexte : la guerre de Sécession), entre hommes et femmes, et surtout entre deux femmes. C'est le principal intérêt de la chose : montrer comment les femmes, dans ces années-là, supplantent peu à peu le rôle des hommes dans l'imagerie classique du cinéma et de la société.
Ça commence dans une petite ville située exactement à la frontière entre Nord et Sud, et devant donc de ce fait adopter une neutralité totale ; la ville est dirigée avec poigne par une sorte de comité de femmes sans pitié, qui pendent le premier à s'écarter de cette neutralité. C'est déjà assez étrange de voir ces cow-boys crasseux obéir aux ordres de cette mairesse bourrue et autoritaire. Mais quand la petite Sally Maris débarque dans le coin, c'est définitivement le girl-power qui s'annonce. La belle va reprendre le saloon, un peu forcée mais sans scrupules, usant de tout son charme pour jouer de sa bande de teupu grand crin et des hommes bourrins qui lui mettent la main au panier. Elle va se heurter à la bande de voyous du patelin, et surtout à Kate Quantrill, aussi blonde qu'amère, qui devient son ennemie personnelle. Dès lors une haine sans merci s'instaure entre les deux belles, guidée tout autant par un passé sentimental mal réglé et par une jalousie tenace. Le tout devant les yeux ébahis des hommes qui en oublient presque de se mettre sur la gueule.
La féminité imprègne le film du début à la fin. Sally, d'abord femme fragile et maternelle (la très jolie scène de remontrances envers l'adolescent Jesse James) se transforme peu à peu en pin-up femme d'affaires et courageuse ; Kate, d'abord sans pitié pour l'homme qu'elle aime, se meut doucement en femme tourmentée et faible. Il aura fallu ce duel central, mis en scène avec une sobriété totale mais un sens de l'espace qui lui fait honneur, pour marquer le point de bascule de ces deux caractères finalement faits pour s'entendre. Dwan est toujours très habile pour les scènes d'action, que ce soit l'attaque de la diligence au début, remarquable, ou la bataille finale. Mais c'est la bagarre entre ces deux femmes qui marque réellement des points : c'est d'une brutalité étonnante, et on sent vraiment que le réalisateur regarde ses actrices avec admiration et "à hauteur d'homme". Audrey Totter en fait un peu des tonnes, c'est vrai, et a droit à un ou deux numéros chantés parfaitement nazes (on ne voit pas trop comment les hommes peuvent succomber à ses minauderies de collégienne) ; mais Joan Leslie est parfaite dans ce rôle casse-gueule qui la fait passer par deux états "opposés" de la femme, oie blanche et maquerelle. Et puis le film est dôté d'un humour bon enfant qui apparaît en filigranne, ce qui ne gâche rien et va aussi à l'encontre du western binaire qu'on peut voir trop souvent. Un joli film original et "bien fait", du Dwan, quoi.