Le Messager (The Go-between) (1971) de Joseph Losey
Il fut un temps où l’on savait encore faire des films en costumes légers, contemporains. Ce film de Losey est un vrai bonheur : on remonte un siècle en arrière dans le temps mais l’histoire qui nous est contée n’est jamais écrasée par le poids de la reconstitution. Et on plonge dedans avec un vrai bonheur.
On suit les traces d’un ptit gars qui a perdu son père et qui est accueilli dans une demeure immense : au-delà de son camarade de classe qu’il accompagne, il ne connaît personne et, à l’image de sa tenue décalée d’hiver en plein été, ne semble guère au diapason de ce grand-monde avec ses manières et ses habitudes. Il va heureusement rapidement se lier avec la grande sœur de son camarade ainsi qu’avec le « gentleman farmer » (un paysan, fondamentalement, mais qui sait se tenir en société…) dont le terrain jouxte cette immense propriété. Quel est son rôle ? Lisez le titre. Pourquoi les deux jeunes gens cherchent à communiquer ? Soyez moins naïf que notre bambin. L’argument de départ est relativement simple mais l’on prend plaisir à suivre « l’éducation » de notre jeune homme en herbe au cours de ce petit jeu dont il a parfois du mal à capter tous les tenants et les aboutissants. Amoureux, comme on peut l’être à son âge, de la grande sœur (Julie Christie, sublime), il aime à lui plaire. Ami, comme on peut l’être à son âge, avec ce fermier (Alan Bates, méconnaissable), il aime à lui poser des questions d’adulte. Il est dévoué à ce couple dont il sait taire les secrets mais il a parfois du mal à rester totalement indifférent à la chose : lui aussi commence, en un mot, à avoir ses premiers émois. Quand la tante, futée comme une renarde, tente de mettre la main sur l’un des messages, c’est tout son petit monde qui se retrouve menacé. Une sorte de trauma ? Le mot est faible…
Ce film est un peu comme un mille-feuille générationnel : il y a le monde de l’enfance avec ses illusions et ses premiers désenchantements. Le monde des jeunes adulte qui, malgré les codes imposés, tentent malicieusement de les contourner. Et la bonne vieille génération, garante des codes de cette société traditionnelle, raide comme une saillie. Dis comme cela, cela peut paraître un peu lourdingue et lourdaud. Un peu à l’image, d’ailleurs, de la rivière de notes au piano (Michel Legrand, si tu nous écoutes) qui accompagne chacune des escapades de notre tout jeune homme : seulement, rapidement, cette mélodie aussi légère qu’un sabot en palissandre nous entraîne dans son envolée lyrique et l’on pénètre avec la même gourmandise dans cette œuvre historique de Losey au charme intact. Découverte et atermoiement de l’enfance, quête initiatique, plaisirs interdits, règles inébranlables… Autant de pistes suivies par un Losey qui ne nous perd jamais dans ce dédale d’images et de codes d’un autre temps. Si loin, si proche. Bien belle palme.