L'Etudiant (Student) (2012) de Darezhan Omirbayev
Enième adaptation de Crime et Châtiment : l'esprit est bressonien et la sauce kazakh. Je vois votre tête d'ici : « ouh ça doit être chiant, l'affaire ». Que nenni. Pas olé olé, j'en conviens mais sobre avec une vraie petite pointe d'humanisme et un micron d'espoir. Le Kazakhstan est un pays en plein développement avec ses nouveaux riches en 4x4 et leurs poules en mini-jupe ; et puis il y a les autres, avec 3 boules en poche, éternels perdants de l'histoire. Le riche jouit d'une certaine impunité : il peut flinguer un âne à coup de golf (après le zébu de Timbuktu, on est en droit de se dire que les bêtes sont de grands souffre-douleur modernes), péter la gueule à un ptit jeune qui a salopé la robe rouge d’une poule avec du thé, te regarder comme une merde du haut de son piédestal. Le riche a la côte et les universités de prôner cet esprit de compétition pour arriver au top... Tu seras riche, mon fils... Notre pauvre étudiant tout paumé et sans le sou perd la tête et flingue le ptit épicier-boulanger local pour se faire 4 biffetons... et une pauvre jeune cliente qui passait au mauvais moment. Notre étudiant, avec ces trois coups frappés sur la porte de l'enfer, semble avoir perdu à la fois son épine dorsale et son âme. On ne donne pas cher de sa peau et on l'imagine déjà croupir dans une prison kazakh sans chauffage.
La société contemporaine est un monde de chiens enragés, il n'y a plus rien à en attendre. Quoique. Il y aura comme seules petites lueurs d'espoir dans le monde de notre étudiant plusieurs femmes : sa mère, sa petite soeur, et surtout une jolie muette dont il croise plusieurs fois la route et l’adorable petite soeur de cette dernière (son ultime regard face caméra est ravageur et vous arrache, au finish, un sourire). Notre gars, avec ses grandes lunettes noires en fonte et son air un peu couillon, ne fait guère le malin tout du long. Il sait qu’il a fait une boulette et qu’il est sur un chemin de non-retour. Mais il trouvera tout de même le courage d'aller voir la police pour donner l'identité d'un vieil homme mort en pleine rue, de courir après un voleur pour récupérer le sac de la muette (et se fera encore casser la tête, mais il a le physique adéquat) ou encore d'avouer son crime à cette dernière. Finira-t-il par se jeter dans la gueule du loup de la police ? Il est tellement bête honnête qu'il en est bien capable.
C'est un film qui dégage, malgré les sombres circonstances, une certaine sérénité grâce à la douceur de ces quelques regards féminins. Sans eux, notre étudiant se transformerait peu à peu en ectoplasme, écrasé par le poids sans foi ni loi de ce monde. Mais ces regards droits, humains, lui redonnent une certaine consistance et lui permettent peu à peu de relever la tête. Pas de tempête sous un crâne chez notre étudiant, juste cette terrible impression que tout lui échappe (à l'image de ce rêve, jolie petite parenthèse dans ce récit très linéaire et terre-à-terre), qu’il traverse le monde comme un fantôme. Mais la rédemption n'est jamais loin - et peut prendre la forme d'un simple baiser posé sur une main. Une œuvre sans fioritures qui possède une belle aura. (Shang - 11/04/15)
Oui, une adaptation intéressante de Dosto, qu'Omirbayev transpose assez habilement dans le monde sans foi ni loi du libéralisme et du profit. Chez Dosto, les tourments de Raskolnikov étaient moraux, ils se compliquent ici du fait qu'ils se développent dans un monde d'inégalité totale : les riches sont des salopards qui restent impunis, les pauvres n'ont pas droit à l'erreur. Le tout avec la bénédiction des profs d'économie de notre étudiant, qui prônent la grandeur de la concurrence, et de la nature toute entière (ces reportages sur des hyènes ou des girafes se faisant bouffer par des lions sont bien impressionnants). Complètement dépassé par le mystère de ce monde brutal, l'étudiant se referme sur lui-même et sur son obsession de récupérer le fric du caissier austère qui le regarde de haut. Quand son crime est commis, il est sidéré par le fait que personne ne le soupçonne et que son acte restera impuni, preuve encore une fois de l'indifférence du monde. Belle lecture du roman, finalement.
Comme le dit mon compère, Omirbayev est un fan de Bresson, et signe, c'est vrai, une mise en scène sobre et digne pour rendre compte de cette douce terreur qui monte sans bruit. C'est vrai aussi que, du coup, ce style est un peu vieillot et commence à fatiguer un poil : personnages mutiques, situations symboliques, manière de dire sans dire tout en disant, on est dans un cinéma des années 90, qui a pris quelques rides, qu'on a déjà vu plusieurs fois. Mais n'empêche : le film est prenant, porté par un acteur habité et très sobre, très joliment écrit. Bref : à voir, dirais-je avec un élan que je vous prierais de noter. (Gols - 19/05/15)