Il était une Fois (A Woman's Face) (1941) de George Cukor
A Woman’s Face est un film qui, à l’image du visage de Joan Crawford, mi-angélique mi balafarée, nous laisse un peu partagé. Certes, il y a nombre d’ingrédients qui nous sied : une femme sulfureuse (ce visage monstrueux n’est-il que le reflet d’un cœur criminel ?), de sales petits chantages pour de minables bluettes, de la chirurgie esthétique avec bandage de tête (je suis un spécialiste des films avec bandage de tête), une intrigue impliquant un téléphérique (les films de téléphérique, c’est comme les films de trains : c’est rarement totalement mauvais), une course-poursuite dans la neige en traineau digne de Ben-Hur… Bref, du sentiment vicié, de la féminité déviante et de l’action enneigée. Un bon cocktail a priori. Sachant qu’il y a en plus un casting digne de ce nom (Joan Crawford en femme ambivalente, Melvyn Douglas en docteur séducteur, Conrad Veidt en vieil oncle richissime, Donald Meek en serveur servile...), pourquoi ferait-on la fine bouche ? Je fais un petit détour par l’histoire et j’y reviens.
Difficile de la faire courte mais tentons : une jeune femme au visage ravagée (son père alcoolo l’a sauvée in extremis d’un incendie : glauque background) est devenue une maître-chanteuse. Au cours de l’une de ses petites manigances, elle va faire la connaissance de deux hommes qui vont changer sa vie : l’un (Douglas) est un chirurgien esthétique qui cherche à exploiter son côté radieux ; l’autre, un magouilleur désargenté qui cherche à creuser son côté sombre (proposer à une femme de supprimer un bambin de quatre ans pour jouir d’un héritage, c’est quand même culotté). Joan, fortement sous l’influence de ce dernier dont elle est tombée amoureuse, va-t-elle sombrer définitivement dans le côté obscur ?
Il y a une assez belle scène, dans les combles du château de la dynastie Barring, lors de laquelle le démon magouilleur tente de révéler l’âme sombre de Joan (les éléments du décor, sous leur toile d’araignée, étant en parfaite adéquation avec ces recoins glauques de l’âme) : filmée presque entièrement en contre-plongée, on sent l’influence néfaste de cet homme sur cette pauvre petite Joan manipulable… Une scène assez forte dans le fond et dans la forme mais, j’allais dire (au-delà du léger suspens lors de la fameuse séquence du téléphérique ou de la course en traineaux), c’est finalement un peu court… La première chose qui laisse méchamment sur la réserve à la vision de ce film (n’évoquons point par pitié le maquillage à la truelle de la Joan défigurée, restons digne), c’est surtout l’évolution du personnage interprété par Crawford. Ce retournement d’intentions, on n’y croit pas une seconde… De plus, même si j’aime par ailleurs la Joan, on ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement à l’aise pour jouer la chiennasse (n’est pas Bette Davis qui veut) et sa façon automatique de fermer son visage pour jouer les femmes mystérieuses et diaboliques est aussi crédible qu’Eric Ciotti en garde-du-corps. Cela crée forcément un petit malaise car le côté inquiétant du film repose essentiellement sur ce caractère, sur ce personnage-pivot. La structure narrative est certes assez maline (chaque témoin - Joan, au début du film, est accusée de meurtre - vient livrer sa version des faits : de jolis flash-back bien linéaires suivront) mais le « coup de théâtre final » (ah la turpide servante… mouarf) prend des allures de petits pétards mouillés. On pensait fouiller dans les tréfonds sordides de l’âme et on obtient un conte romantico-chirurgicale cro mignon - la rédemption, oui… Bref, même si Cukor fait le taff - c’est propre -, on en ressort à moitié convaincu… rêvant d’une version beaucoup plus vénéneuse et trépidante tournée par le Hitch…