La dernière Chasse (The last Hunt) de Richard Brooks - 1956
"La guerre me l’a appris : plus vous tuez, meilleur vous êtes.
Tuer, combattre, lutter sont des choses naturelles. La paix n’est qu’un repos intermédiaire."
Il faut bien reconnaître que les westerns, en règle général, ne sont pas complètement d'extrême gauche. C'est pourquoi voir arriver Richard Brooks et sa Dernière Chasse, c'est comme recevoir une bouffée d'humanisme, d'indignation et d'intelligence ; complètement emballé par ce film rude et fort, par son fond autant que par sa forme. Car être vibrant d'humanisme ne signifie pas, pour Brooks, être béni oui-oui : son film est brutal, sec, voire même d'une noirceur totale quand il s'agit de décrire l'avidité des hommes, leurs rapports aux bêtes, aux minorités, et aux femmes. Il utilise les clichés du western (virilité exacerbée, violence sans scrupule, nature déifiée) pour les retourner un par un et fabriquer une sorte d'anti-western, où les hommes-les-vrais sont les plus sensibles, où tuer devient un acte culpabilisant. Pas anodin, quand même.
La chasse du titre, c'est celle des derniers bisons qui peuplent encore les plaines du Dakota. A mon (extrême) droite, un tueur sans vergogne, Gilson (Robert Taylor), raciste, machiste, fascisant, violent, sanguinaire ; à ma gauche, son opposé (il faut bien une petite dose de manichéisme), McKenzie (Stewart Granger), chasseur lui aussi mais qui commence à ployer sous le poids de tout le sang versé, d'autant que le cheptel de bisons s'épuise, et que notre homme se rend bien compte qu'ils sont en train de faire disparaître l'espèce. Et avec les bisons, les Indiens : la chasse en question est aussi une chasse aux hommes, par extension, et c'est là que le film prend une puissante ampleur. Car en plus d'être littéralement "hanté" par l'exécution en masse des bisons, Gilson est un atavique raciste qui considère les Indiens comme des animaux, et les fusille sans tiquer. Autant dire que les relations avec l'humaniste McKenzie ne vont pas être de tout repos, surtout quand s'y ajoute une fatale squaw convoitée par les deux hommes (l'un par véritable amour, l'autre par un trouble sentiment de domination et de désir).
Complexité des sentiments, véracité du contexte, beauté des images, il y a tout ce qu'on aime dans La dernière Chasse. Le film est brutal et sans concession : Brooks utilise des images réelles d'éxécution de bisons (officiellement agréée pour contrôler l'espèce) et les mèle habilement à ses images à lui, créant d'entrée de jeu un troublant réalisme. On ne rigole pas : les bêtes qui meurent meurent vraiment. Aussi, quand Gilson se met à détruire à la pelle les Indiens, dans un génocide filmé dans toute se froideur, on tremble. Rarement eu l'impression de voir la mort aussi bien rendue. Le film tiendra ce fil violent jusqu'au bout du bout : des énormes coups reçus par un jeune Indien qu'on traîne dans la boue jusqu'à la mort brutale de l'un de nos héros sur fond de neige, c'est sans aucune concession que Brooks raconte cette sorte d'épopée de la violence américaine concentrée sur quelques personnages. Le film est fermé de tous les côtés, tous les rapports humains se résument à la haine, la rivalité, la domination. C'est presque dans les rapports avec la femme que le constat est le plus amer : si McKenzie semble avoir des visées plutôt honnête avec cette jeune squaw, Gilson, encore lui, la regarde avec une sorte d'incompréhension mélée de violence : il veut être aimé, et ne comprend pas qu'il ne le soit pas. L'image de l'impuissant est d'ailleurs filée magnifiquement dans la scène centrale de massacre des bisons, filmée comme un acte de jouissance pour le gars (il faut le voir caresser son fusil fumant, et achever les bêtes avec une excitation fascinée)
Taylor est brillantissime dans ce rôle hautement détestable, d'une subtilité extraordinaire pour décrire les méandres intérieurs de son personnage. Un poil trop lisse, trop pur et héroïque, Stewart Granger a un personnage beaucoup moins intéressant à défendre, et c'est dommage. Mais il a quand même droit à sa séquence ambigue, une soulerie dans un saloon où ses bas instincts de mec se réveillent. Et ce qui est le plus touchant, finalement, c'est de reconnaître une lueur de remords dans les yeux de Taylor, et une lueur d'échec dans ceux de Granger : ce dernier n'est peut-être pas si glorieux, qui a participé lui-même au massacre des bisons, qui fait très peu pour soustraire la belle aux griffes du démon, et qui se retrouvera définitivement loser sur la fin (son duel tant attendu n'aura jamais lieu, et la end est loin d'être happy). En tout cas, touchant lui aussi, on peut le voir verser des larmes devant les bisons qu'il décime malgré lui. Brooks place ces personnages noirs et maléfiques au sein d'une nature idyllique, rendue encore plus dangereuse et sulfureuse. On y tue des hommes et des bêtes en plein soleil, tranquillement, dans une sorte de critique noire de l'Amérique des grands paysages et des valeurs pures, c'est splendide. Un chef-d'oeuvre, quoi...