LIVRE : Apprendre à finir de Laurent Mauvignier - 2000
Le sommet de l'oeuvre de Mauvignier ? Je serais prêt à être d'accord, tant ce bouquin me laisse, même à la deuxième lecture, aussi pantois qu'à la première. Il s'agit encore une fois de la désintégration d'une cellule, cette fois celle que forme un couple dans ses dernières heures d'existence. La narratrice nous raconte par le menu le lent rétablissment de l'homme qu'elle aime, paralysé après un accident, celui-ci étant advenu dans un moment de crise au sein du couple : le mari est infidèle, et la narratrice imagine "l'autre", tapie dans l'ombre, guettant elle aussi les progrès de la guérison. Elle sait que son couple est finie, et que le complet rétablissement de cet homme signera aussi son départ définitif, mais elle s'accroche à ses rêves, et le texte est constitué de ces infinies questions, mensonges et instants de lucidité que cette femme éprouve face à ce corps qui reprend vie, à cet homme mutique qui n'est déjà plus à elle. Apprendre à finir, ou comment chaque geste retrouvé, chaque signe de mieux, peut ressembler à une torture pour celle qui y assiste.
C'est magnifique : Mauvignier fait entrer au sein de ce monologue le négatif de celui-ci. Tout ce que pense la narratrice n'est que fiction, elle le sait mais raconte quand même cette hsitoire, se mentant à elle-même. Dans un numéro d'équilibriste virtuose, le roman nous fait sentir la texture même de ce qu'est la "fiction", nous fait à la fois deviner la vérité et éprouver de l'empathie pour le mensonge. Car on est placé, qu'on le veuille ou non, à quelques centimètres de cette femme, écoutant son discours intérieur tout en le regardant de l'extérieur. C'est encore une fois une réussite stylistique totale : l'art de la ponctuation, du rythme, du "flow" atteint son paroxysme dans ce livre, qui nous entraîne comme un morceau de musique. On aimerait s'en extraire souvent, le livre n'est pas aimable tant il appuie sur la point sensible, sur cette part de nous qui refuse de regarder la vérité en face. Mais Mauvignier nous laisse enchaîné à cette femme, contraint d'assister à son désespoir, et regardant avec elle cet amour mort qu'elle n'arrive pas à apprendre à finir. Et le pire, c'est que cette violence qu'on nous fait est agréable, parce qu'on reconnait derrière l'avalanche de mots, de répétitions, de tournures de phrases complexes, de bégaiements, une patte humaine terriblement attachante. Mauvignier a tout compris à la fin du couple, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, et nous sert son bouquin le plus bouleversant.