Master and Commander (Master and Commander : The Far Side of the World) de Peter Weir - 2003
Le ventre est encore chaud qui engendrât Errol Flynn, si on en croit ce très joli film du pourtant inconsistant Peter Weir. Attention, on reste assez loin des grands films de Curtiz ou Walsh, mais il y a quelque chose de ce charme-là dans ce divertissement à l'ancienne, dépaysant et soigné, et on s'attendrait presque à voir sugir Eddy Mitchell avec ses esquimaux glacés, comme aux bons temps de la "Dernière Séance".
Il s'agit d'un film de corsaires, genre qui a toujours déclenché chez moi des petits picotements de nostalgie enfantine. Comme dans le temps, on est plongé au sein d'un groupe d'hommes crasseux, marins anglais lancés aux trousses d'un mythique bateau français (guerres napoléoniennes obligent) ; à leur tête un capitaine têtu (Russell Crowe), qui va devoir rivaliser de ruse, de charisme et de courage pour parvenir à mettre bas ce navire surarmé et imprenable. La quête prend peu à peu des allures de chasse à la Moby Dick, notre capitaine prêt à toutes les folies pour atteindre son but. Et il est vrai que quand les affrontements ont lieu, ça pète sa mère. C'est l'une des qualités du film : rendre compte de façon presque réaliste du choc de ces navires. Le bruit des boulets de canon, la fragilité des vaisseaux, la mort terrible des hommes, le choc des proues, tout ça est rendu avec un désir de véracité qui marque des points. On est dedans, tout simplement, et les scènes d'action sont toujours claires, lisibles. Quand un des personnages tombe, on sait qui il est, on connaît un bout de sa vie, ce n'est pas un simple figurant, et ça compte beaucoup. Weir sait organiser avec force le chaos de la guerre et l'énorme barnum de ses effets spéciaux (relativement sobres, là aussi tournés vers la véracité), sans s'énerver, sans céder aux facilités du montage épileptique habituel. La bataille finale est impeccable, pleine de bruit et de fureur, menée avec un sens imparable du spectacle.
Mais c'est surtout dans ce qui se situe entre les grands moments d'action que le film est passionnant. Dans ces grandes plages de calme qui précèdent la tempête (magistrale scène d'ouverture, silencieuse, tendue, comme si on était dans un film fantastique), dans ces simples dialogues (un peu appuyés, certes) où on découvre des personnages, une patte humaine et humaniste touchante, dans ces échappées sur les îles paradisiaques. Là, Weir déploie une mise en scène vaste et calme, très maîtrisée, et peut alors se permettre de filmer des chercheurs étudiant une faune inconnue sur un air de Bach, deux marins sortir leurs violons pour interpréter une sonate grand cru, ou simplement la mer calme et vaste. Le film est souvent très rêveur, opposant à la sauvagerie des combats la beauté de l'art ou de la science. Très beau personnage, dans ce sens, du chirurgien de bord (Paul Bettany), érudit en opposition avec le belliqueux capitaine, qui profite des batailles pour faire ses recherches sur la faune, porteur à lui seul de la civilisation au sein de la barbarie. Mais Weir aime, de toutes façons, l'ensemble de ses personnages, et leur donne à tous leur moment de gloire (beaucoup aimé aussi ce gamin qui, le temps d'un épisode, devient capitaine du navire). La mort est brutale, mais le film est dôté d'une vraie mélancolie, d'une douceur, qui tranchent avec ce genre de productions. Un sous-officier choisi comme tête de Turc peut s'y suicider doucement, par exemple, dans une scène vraiment très belle, et Weir ne cherche pas la surenchère à tout prix. Le film n'a pas de fond particulier, c'est vrai, mais il a un ton, un style, et est réalisé avec un professionnalisme artisanal qui réchauffe le coeur. Satisfait, le Gols.